15/02/2018

USA : La traversée du Far West

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23/12/2017 - 04/02/2018 ; San diego, Californie - Las vegas, Nevada - Albuquerque, Nouveau Mexique

20h , vendredi 22 décembre 2017 je me présente à la frontière des USA, persuadé que le passage va être long et difficile, que la police des frontières va vouloir fouiller mes sacoches et peut-être même vérifier ce que j'ai sur mon smartphone.
Pas du tout !
Quand j'arrive, le douanier est avachi sur sa chaise. Il vérifie mon passeport et me dit d'aller au bureau des permis pour valider mon entrée. Le bureau se trouve quelques dizaines de mètres plus loin. Mais personne n'est là pour vérifier si je rentre au bureau ou pas. Je pourrais très bien continuer ma route et entrer aux USA en toute illégalité et tranquillité.
Au bureau des permis, c'est un joyeux bordel. Il y a plusieurs guichets  mais pas de file unique ou de numéro à prendre. Le fonctionnaire libre appelle juste le suivant et c'est le plus opportuniste qui gagne. Pas très carré tout ça. Moi qui pensais que depuis l'élection d'un Président à la mèche peroxydée les frontières étaient devenues presque infranchissables et la discipline aux frontières bien ordonnée comme un peloton militaire pour le 14 juillet !

L'officiel qui me reçoit après avoir scanné mon passeport me demande mon ESTA. C'est un formulaire à remplir en ligne avant de rentrer aux USA  qui fonctionne comme un pré-visa. Bien que je n'en ai pas besoin pour traverser une frontière terrestre, j'avais pris le soin de le faire "au cas où". Le policier aux frontières veut absolument la version imprimée, alors qu'il a juste à taper mon numéro de passeport dans sa base de données pour retrouver mon ESTA. Mais il semble attaché à vouloir le lire sur du papier. Je retourne à mon vélo récupérer la version papier que j'avais préalablement imprimée et je  refais la queue. Je suis reçu à un guichet différent où le fonctionnaire me demande juste si j'ai mon ESTA mais se fout complètement de la version imprimée.
Les contradictions de l'administration aux frontières !
Il tamponne mon passeport et me voilà en règle pour un séjour de 3 mois aux États-Unis d'Amérique.

En ce dernier vendredi avant Noël, des voitures par centaines sont bloquées sur la chaussée entre la frontière et le centre commercial situé a proximité. Il y a un bouchon monstrueux. Impossible d'avancer même en vélo. Carolina qui  m'héberge est obligée de venir me chercher à pied ! Un comble quand on sait que le monde est en crise et que les gens se plaignent de ne pas avoir suffisamment d'argent.

Carolina, la soeur de Sandra qui m'a hébergé à Tijuana, m'accueille à San Diego comme un membre de la famille. Elle m'invite à passer les fêtes de Noël et du nouvel an en "famille" avec ses trois soeurs et leurs progénitures. J'accepte volontiers cette généreuse invitation.
Avec mon visa "multiples entrées"  je peux aller à Tijuana au Mexique et revenir aux USA autant de fois que je veux.
Carolina a un visa de résidente. Elle vit et travaille depuis plus de dix ans aux Etats-Unis. C'est un sacrifice financier à faire, pour espérer obtenir la nationalité américaine. Elle voudrait ensuite revenir vivre de l'autre côté de la frontière au Mexique où le coût de la vie est bien moindre. Ses sœurs ont seulement un visa de travail qui les oblige à rentrer chaque soir à Tijuana. 

Les "Latinos" représentent 18% de la population américaine. En Californie cette proportion passe à 38%. Les frontaliers, inquiets suite aux déclarations du nouveau Président américain, m'expliquent que l'économie de la Californie serait exsangue si les mexicains devaient perdre leur visa de travail.
Durant les quinze jours que je passe à San Diego, je traverse avec Carolina plusieurs fois la frontière, pour aller déguster mes derniers tacos, tamales ou tout simplement pour aller boire un verre ou voir ses amis. C'est dans une ambiance de fête latino que je passe quinze jours de repos formidables : MERCI !

Aprés une prolongation pour fêter l'épiphanie, qui est le jour du "Rosca de Reyes" (gateau des rois similaire à la brioche provençale), je reprends la route le lundi 6 janvier 2018 en direction de Las Vegas sous la pluie . Le bulletin météo le prévoyait. J'aurais pu rester au chaud et attendre que ça passe. Mais comme je commençais à avoir des fourmis dans les jambes, j'ai choisi de partir. Deux jours de pluie et de vent ininterrompus dans les montagnes à une altitude de 1500m.  6°C, pluie, vent. Dur, dur la reprise. Je décide de changer d'itinéraire et de bifurquer immédiatement vers le désert au lieu de suivre la route des montagnes. En redescendant vers Salton city je retrouve enfin le soleil et je laisse derrière moi les nuages accrochés aux sommets des montagnes.

Malgré le vent de face je profite pleinement de l'immensité de ces paysages désertiques. Le passage sur la route 66 rend encore plus mythique chaque tour de roue. Je suis bien aux USA !
La légendaire Route 66 part de Chicago, Illinois au Nord-Est pour arriver en à Santa Monica en Californie, 3940km plus loin à l'ouest. C'était l'une des premières autoroutes entièrement goudronnée aux USA en 1938. Hélas, les temps ont bien changé et elle n'est plus que l'ombre d'elle même. La Route 66 n'existe plus en temps que telle depuis 1985. Certains tronçons ont été remplacés par des autoroutes inter-états et des routes locales. Les parties abandonnées sont impraticables: ponts détruits, qu'il faut franchir à gué, chaussées défoncées ou recouvertes de sable. Le juteux business lié au trafic routier a disparu, les restaurants, bars, motels sont pour la plupart en ruines. Seuls les endroits devenus touristiques survivent. Une des curiosité de la route 66, ce sont les panneaux qui invitent les citoyens à dénoncer les conducteurs bourrés ou qui demandent aux véhicules de ne pas prendre d'auto-stoppeur dans une zone pénitentiaire ouverte !






Je visite Las Vegas, la ville du rêve ou de la décadence américaine.
Las Vegas Boulevard, la rue principale, est envahi par des hordes de touristes américains ou asiatiques qui se ruent de casino en casino.

 La nuit, la cité déploie toute sa beauté et illumine le ciel du Nevada. A plus de 100km dans le désert j'apercevais encore les puissantes lumières du show nocturne.
Finalement elle a tout de même son charme.




Un jour dans ce "paradis" et je poursuis ma route vers le nord pour découvrir les magnifiques Parcs Nationaux de l'ouest américain.
L'accès aux Parc Nationaux américains est payant, quel que soit le moyen de locomotion.
Fort heureusement, j'ai un "National Park senior Pass" - passeport d'accès aux parcs nationaux - encore valide que m'a donné un cycliste français croisé en Amérique Centrale, qui avait parcouru le sud des States .

Dès mon arrivée dans l'Utah, le paysage change. De superbes montagnes aux strates colorées s'étendent devant mes roues sur une route bitumée aux couleurs de la vallée.
Au pied du Parc National Zion, je suis hébergé chez Robin et Tracy dans ce qui reste d'une vieille caravane en aluminium des années 60 posée sur des poutres en bois au fond du jardin. Dans cet abri un peu kitsch mais confortable, je regarde la neige tomber à travers la petite fenêtre. Un jour d'attente à 1500m d'altitude pour laisser passer une courte vague de froid arrivant du nord .
Après un petit jour de repos et quelques bières je traverse le Parc National Zion.
Absolument splendide !!!
La route serpente au milieu d'un canyon géant aux dégradés de couleurs ocres.

Avec le shutdown, l'entrée du parc est gratuite. Aucun Ranger ne travaille . Le "shutdown": l'arrêt en français, résulte du blocage du Congrès américain qui n'a pas réussit pas à voter le budget pour les opérations gouvernementales. Dans ce cas, l'administration fédérale cesse par manque d'argent tout service à la population à l'exception, dans un premier temps, des services dits « essentiels » comme la police, l'armée, les hôpitaux ...

Sur la route me menant au Grand Canyon je vis mes journées et mes nuits les plus froides depuis les hauts plateaux Andins (Chili, Pérou, Bolivie) . Dans la journée le thermomètre dépasse tout juste les 0°C et la nuit il frôle les -15°C. Mes bouteilles d'eau gèlent entièrement en l'espace de quelques heures. Mon dentifrice, mon huile d'olive, ... aussi. Après avoir fait ma vaisselle, l'eau qui reste au fond de la casserole gèle en un clin d'œil.
La nuit dans mon duvet, l'air que je respire me glace la gorge !!!
Heureusement que les journées sont ensoleillées.
Je me dis souvent que ça pourrait être pire.
Et puis visiter le Grand Canyon vaut bien un bivouac frigorifique !

Arrivé dans le Parc National du Grand Canyon je reste bouche bée devant le spectacle. Je n'ai jamais rien vu de tel.
La nature s'est donnée des millions d'années pour creuser cette immensité. C'est tout simplement magique, unique !
Même en ouvrant très grand mes yeux j'ai du mal à percevoir le gigantisme. Sous un ciel limpide le fleuve Colorado serpente 1300 mètres plus bas et continue de façonner le canyon. Comme c'est l'hiver et qu'il fait froid à cette altitude de 2200m, il n'y a pas foule. Assis au bord du Grand Canyon, je profite longuement et égoïstement du panorama .







Après avoir admiré toutes ces merveilles je continue ma route vers l'est. Je traverse les plaines désertiques du Far West jusqu'à Flagstaff puis Albuquerque. Le chemin de fer avec ses longues voies rectilignes comme on le voit dans les westerns suit la Route 66.
Sur le chemin je fais un détour pour visiter le parc national de la Forêt Pétrifiée.
C'est impressionnant de voir l'état de conservation de ces arbres après des millions d'années de transformation. Enfouis sous des dépôts sédimentaires riches en silice, le bois a été transformé en quartz. La silice a remplacé lentement la matière végétale et fossilisé les troncs. L'érosion et le soulèvement de la croûte terrestre ont mis au jour toutes ces merveilles.

Les températures diurnes redeviennent acceptables, autour de 15°C. Seules les nuits sont fraîches, au alentours de -10°C.
Je suis à Albuquerque dans l'état du nouveau Mexique, affûté et bronzé comme un grimpeur du tour de France. Le froid a grignoté toute la graisse emmagasinée pendant les fêtes !





Comment résister au froid ?

Mon duvet est donné pour une température de confort de 0°C .
Pour dormir confortablement, je lui additionne plusieurs couches de vêtements :
- bas du corps : deux paires de chaussettes, deux pantalons,
- haut du corps : un t-shirt à manche longue, un polaire, un coupe vent, une doudoune, un tour de cou et un bonnet
 L'isolation du sol est capitale: pour ça j'ai un épais matelas gonflable (Therm-a-rest neoair xterm regular )
 Avec tout ça je dors presque bien jusqu'à -15°C. Au petit matin seulement, je commence à avoir un peu froid aux pieds à cause de l'humidité qui se concentre à l'intérieur de ma tente. Mon duvet est souvent bien mouillé aux pieds ☹.

Le soleil se couche vers 17h30 et se lève à 8h.
J'ai quelque peu changé le rythme de mes repas.
Je bois un bon café chaud dès la sortie du "lit" avec de l'eau chaude que j'ai préalablement fait bouillir la veille et versée dans mon thermo. Je le glisse dans mon duvet la nuit pour avoir de l'eau bien chaude. Précaution indispensable par ces nuits froides et longues où l'eau refroidit très vite.
Ensuite je déjeune copieusement vers 10h et je grignote un peu dans la journée. Je ne fais pas de gros repas de midi, sinon à l'heure du dîner, vers 17h, je n'ai pas faim.
Le repas du soir c'est grand luxe avec une soupe géante : légumes, coriandre, ail, huile d'olive, fromages et riz ou pâtes. Ce repas est le plus important par ces températures. Il me permet de rester chaud presque toute la nuit.
Je décampe souvent au petit matin, juste après le lever du soleil. Il fait encore très froid, parfois -8°C sous le soleil.
Et encore une fois j'empile les couches, que j'enlève ensuite au rythme de l'augmentation de la température ambiante !
Pour m'adapter aux conditions extrêmes, il me faut être inventif: mes habits peuvent être multi-usages, comme mes épaisses  chaussettes de nuit que j'utilise comme écharpe dans la journée ☺.

En quittant la Californie et ses températures clémentes, j'avais besoin d'un bon bonnet et d'une couche supplémentaire pour résister au froid du matin. J'aurais pu acheter du "made in China" dans un supermarché. Mais dans cette Amérique de la surconsommation, les gens se débarrassent de tout ce dont ils ne veulent plus. Le bord des routes est une mine d'or. J'y ai trouvé une veste O'Neill, neuve, qui sentait encore la lessive. Bien plus propre que les vêtements que je portais depuis plusieurs jours. J'ai également "glané" un bon gros bonnet .
Parfait.
Il y a de tout sur le bord de la route : casquettes, pantalons, gants, serviettes, ... souvent en bon état!

Certains me traiteront de radin ou de clodo et ils auront bien raison, mais je me définirais plus comme un "écolo sobre" à l'image de ce que décrit Pierre Rabi dans son livre "La sobriété heureuse"☺. 
De toute façon je n'ai pas honte de mes actes.
Je les assume pleinement !
C'est le mode de voyage que j'ai choisi dès le départ: limiter les dépenses, l'empreinte carbone en utilisant le matériel jusqu'à usure complète et limiter le poids que je dois transporter.

A quoi ressemble la vie aux USA ?

Ce qui m'a marqué, quand je suis entré aux USA par la Californie, c'est le gigantisme des infrastructures. D'énormes 4x4 circulent sur des routes super larges et sur des autoroutes à cinq voies, flanquées de grands centres commerciaux tous les cinq kilomètres. Les larges avenues sont bordées de beaux et larges trottoirs pour les piétons et de pistes cyclables.
La Californie, l'état le plus riche des Etats-Unis, concentre un grand nombre de SDF. Je suis choqué de les voir squatter les trottoirs au pied des grandes tours ou à l'entrée des centres commerciaux. Jusqu'ici je n'en n'avais jamais vu autant. Vu d'Europe on pourrait croire que ce sont les immigrés, montrés du doigt par le Président américain: mais pas du tout. Ils sont pour la plupart blancs ou d'origine africaine et sont aux USA depuis plusieurs générations. La grande majorité sont âgés. Ce sont les oubliés du système libéral qui n'ont pas assez d'argent pour se payer un logement et dorment dans la rue.
La pauvreté au pied des immeubles synonymes de l'économie florissante, c'est vraiment triste ☹.

Les horaires d'ouverture des commerces sont bien différents de la France. Beaucoup de fast food, de grands supermarchés, de vendeurs de donuts, ... sont ouverts 24h sur 24, 7 jours sur 7 !
Et c'est sans parler de Las Vegas où même le réparateur de pneu est ouvert 24h/24 7j/7 !
Pour faire la publicité de leurs commerces certaines enseignes embauchent des hommes ou femmes sandwiches qui promènent leurs pancartes au feu rouge sous le nez des automobilistes buvant leur soda ou grignotant leur burger. Les plus agiles essaient par de belles pirouettes de capter l'attention des conducteurs, quand d'autres défilent comme des pin-ups désabusées lors d'un match de boxe.

Dans les états de Californie, Nevada, Arizona et Nouveau Mexique on trouve quasi systématiquement le double affichage anglais - espagnol. Il m'est souvent arrivé de parler espagnol. Une langue que je commence à maîtriser et qui est bien plus facile à prononcer que l'anglais.

Au fil des jours et des kilomètres j'aime de plus en plus de ce pays. J'avais pourtant un a priori négatif sur les américains, après avoir été traité maintes fois de gringo en Amérique Latine. Je n'aurais jamais imaginé au début de mon voyage, d'apprécier autant les USA. Les conditions de voyage sont agréables et sécurisantes. Les paysages sont superbes.  Les routes sont goudronnées et larges. Je trouve de l'eau et de la nourriture facilement. Camper le soir est super simple. Bien qu'il y ait des barbelés le long de la route, il y a toujours une entrée accessible sur ces terres publiques.
Mes hôtes du réseau Warmshower sont adorables.
Je prends énormément de plaisir.
Que du bonheur !


Statistiques

Distance : 2328  km
Nb jours : 44
Nb jours de vélo : 23
Nb jours de repos : 21
Etape la plus longue :  131 km
Etape la plus courte :  19 km
Crevaison : 4

Nuit la plus froide : -15°C, Utah, USA

Total depuis le début

Distance : 59658 km
Nb jours : 855

Nb jours de vélo : 585
Nb jours de repos : 270
Etape la plus longue : 257 km ( Australie, Nullarbor)
Etape la plus courte : 26 km
Plus haut col : 5130m, Abra Azuca, Pérou
Crevaison :16

Rayon cassé roue arrière: 9 ( ancien vélo décathlon à 100€)
temp. max/min : 49°C ( Australie) / -15°C ( Utah, USA)


2 commentaires :

  1. Salut jeune homme!! Tu précises à la fin de ton article que tu prends du plaisir, mais on le ressent au fur et à mesure que tu décris ton avancée. On arrive à vivre ces moments avec toi.
    Tes expériences sont un bon moyen pour démentir ou démonter des idées reçues. Tes points de vue sont justes et très instructifs. Continue comme ça


    Take care Gringo

    Ventard

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  2. Ca me fait plaisir que tu lises mes articles, encore plus que tu laisse un message et quand tu écris " take care gringo" je suis anges et persuadé que c'est n'est pas un imposteur ;)
    Un abrazo grande Amigo !!

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