06/01/2019

Zambie

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Zambie    2 mai - 18 mai 2018

          Au poste frontière zambien je demande aux "changeurs à la sauvette" de surveiller mon vélo avec ses sacoches pendant que je vais faire mon visa. J'ai souvent utilisé ce moyen en Afrique. Aucun risque, les rabatteurs savent que c'est une possibilité pour eux de faire des affaires. Je me déleste de 50$ pour obtenir le droit de visiter le pays pendant trois mois. Seuls les touristes non originaires d'Afrique doivent payer une telle somme, qui est une source de devise non négligeable pour un pays pauvre comme la Zambie.

          Pour moi ce sera une mauvaise affaire. Impossible de négocier un taux de change sans une perte de 10%. Par bonheur je n'ai que quelques centaines de shillings tanzaniens ( moins de 40€ ).
Passé le poste frontière, je roule sur des restes de routes plus que défoncés où quelques taches de bitume parsèment une piste de couleur ocre. La saison des pluies est terminée. Les rares véhicules qui me doublent lèvent une poussière fine qui s'infiltre partout dans mes vêtements.

          A la différence de la Tanzanie, cette partie est de la Zambie est peu peuplée. Quelques villages sans animation, éloignés les uns des autres. Entre ces zones de vie, quelques cases de terre battue entourée de champs de mais et de forêt où les zambiens fabriquent du charbon de bois vendu dans de grands sacs sur le bord de la route. Ici loin des mines, les richesses en matières premières de la Zambie situées au nord-ouest ne profitent pas à la population.

          Le ravitaillement en eau est un peu plus problématique. Dès que je trouve un village avec une pompe, je m'arrête faire le plein de mes bouteilles d'eau. Mon arrivée attise la curiosité des enfants. Certains choisissent la fuite pour m'observer de loin, d'autres accourent pour pomper à ma place en riant comme tous les enfants du monde. Personne ne me réclame une pièce pour prix de l'eau. Dans les hameaux les plus pauvres où il n'y a pas pompe, je dois trouver un puits. C'est à la main avec une corde usée et une poulie bancale que je remonte un seau d'eau. Le liquide est clair, mais je prends toujours le temps de le filtrer avant de remplir mes réserves. Les boutiques villageoises sont mal approvisionnées. Au nord je trouve rarement du riz ou des pâtes, je dois me contenter de produits locaux: œufs, beignets gras et sucrés ou poissons séchés. J'ai l'habitude.

           La pression démographique que j'ai ressentie au Rwanda ou en Ouganda est ici inexistante. Pas de curieux le soir au bivouac, je campe toute les nuits dehors, dans des endroits calmes pas très éloignés de la route.



         Mon quotidien de cycliste est monotone: lignes droites plates à perte de vue. Je roule six à huit heures soit 120 à 160km par jour. La routine journalière du cycliste est souvent ordinaire. Au bord de la route les vendeurs me proposent une boisson dans une bouteille de soda réutilisée. Je me laisse tenter. Le breuvage à base de farine fermentée est légèrement gazeux avec un goût plus que fade.

         Aux abords des villages, certaines écoles affichent de belles devises:
- Réveillez-vous! Stop aux mariages des enfants
- Dirigé aujourd'hui, leader demain
- Succès grâce à un dur labeur et une autodiscipline
Les jeunes zambiens peuvent au moins rêver à un avenir meilleur !

          A l'approche de la capitale Lusaka, la population et le trafic se densifie. Je trouve un hôtel-camping avec douche et cuisine pour 5€ par jour. Je m'arrête pour me reposer, me ressourcer et rencontrer des cyclistes qui vont aussi vers le sud. Un belge et un anglais que je suivais sur un chat de cycliste, qui ne sont pas très bavards sur le parcours déjà accompli.

           En quittant les USA pour l'Afrique, j'avais prévu un itinéraire qui allait de Nairobi à la Namibie ou l'Afrique du Sud puis remontait la côte ouest africaine jusqu'au Maroc. A près deux mois en Afrique de l'Est dans des pays surpeuplés où je ne me sens pas toujours à l'aise quand je dois affronter la foule, la mendicité ou camper près des habitations, je réfléchis à changer de route. Etre une attraction à chaque arrêt, j'ai connu ça en Chine, mais c'était au début de mon voyage. Maintenant j'en ai marre. L'autre problème que je découvre, est la difficulté à obtenir un visa angolais. Les cyclistes qui ont réussi à décrocher le précieux sésame ont dû patienter plusieurs jours à l'ambassade angolaise d'un pays limitrophe. Le visa ne peut pas débuter à une date postérieure au jour de l'obtention, ce qui est une contrainte supplémentaire. Le 8 mai j'appelle mes parents par internet pour leur en parler. Nous discutons pendant plus d'une heure sur les différentes options et leurs conséquences. J'écoute leurs conseils et je les informe que je prendrai une décision dans la nuit. Ce soir là, contrairement à mon habitude, j'ai du mal à m'endormir. Trop de questions tournent inlassablement dans ma tête. La sécurité, le plaisir, le retour et après ?

         Le lendemain ma décision est prise. Il est plus raisonnable et probablement plus agréable d'aller jusqu'au Cap en traversant la Namibie et de prendre un vol vers le sud de l'Europe.
Bien que je n'aie pas encore choisi la ville européenne de destination, je sais qu'après le Cap je vais me rapprocher inexorablement de la maison ! Le retour est proche. Depuis quelques jours je me suis fait à l'idée que l'aventure se termine bientôt. Avant Noël, c'est sûr.
J'envoie un message à mes parents pour leur faire part de ma décision. La teneur de la réponse me confirme que, pour eux, c'est un soulagement de savoir que je ne traverserai pas la partie de l'Afrique qui semble la moins sûre.
Une bonne chose de faite !
Je suis soulagé.



          Je continue vers Livingstone, la ville la plus proche des chutes Victoria. A l'occasion de mes pauses, j'ai souvent la visite de villageois qui viennent voir ce "drôle de blanc" qui s'arrête dans les hameaux de brousse. Les plus curieux me demandent de les photographier, juste pour le plaisir de se voir sur l'écran. Je prends le temps de leur faire plaisir quand ils me semblent animés de bonnes intentions.

           Il est dimanche, le seul jour que je reconnais invariablement en Afrique en voyant des habitants endimanchés qui marchent au bord de la route vers l'église la plus proche. Sur le coup de midi, je m'arrête sous un arbre pour manger à l'ombre. Un pickup blanc passe au ralenti devant moi et s'arrête deux cent mètres plus loin devant un portail. Le conducteur sort, puis s'avance vers moi avec sa canne. C'est un blanc en tenue de brousse, qui discute quelques minutes avec moi et m'invite chez lui.  Barry un homme de 80 ans environ me sert un gin tonic en guise d'apèro.
Mon premier alcool fort depuis que j'ai posé le pied en Afrique !
Après avoir avalé mon deuxième repas, il me propose de passer la nuit chez lui, ce que j'accepte volontiers. J'ai déjà pas mal roulé aujourd'hui et mon estomac me dicte de me reposer.

            Après une bonne sieste on visite les alentours de sa ferme, une propriété de plusieurs centaines d'hectares perdue dans le bush. Barry d'origine anglaise est arrivé dans les années soixante comme militaire à l'époque de la Rhodésie du Nord alors sous protectorat britannique. Au moment de l'indépendance de la Zambie, il décide de rester dans ce pays qu'il apprécie par dessus tout. Il achète une terre vierge qu'il va faire prospérer en créant de ses mains un élevage de vaches, poulets, moutons et chèvres. Dans sa période la plus florissante il employait jusqu'à 300 personnes. Des villages se sont créés en limite de sa propriété pour loger le personnel. Barry a financé  la construction d'une école primaire. Après trente ans de dur labeur, il délaisse un peu sa ferme pour devenir le représentant des fermiers et des associations agricoles pour toute la Zambie. En son absence, ses employés, beaucoup moins motivés que lui, ne sont pas à la hauteur. Le business périclite rapidement avec l'augmentation des taxes sur les propriétaires et la crise de 2008. Aujourd'hui il se contente d'une activité réduite avec cinquante employés. Mariés plusieurs fois à des zambiennes, ayant aussi adopté des enfants, il vit maintenant seul dans la maison de ses débuts après l'incendie de sa ferme. Il  me confie, qu'il  nourrit un grand ressentiment envers ses employés, qu'il a contribué à éduquer et qui ont profité de son absence pour le voler !
"Il est bien difficle de devoir compter pour les gros achats quand on a vécu pendant longtemps dans l'oppulence" me dit-il.



         Trois jours plus tard je suis à Livingstone, la ville la plus touristique des Chutes Victoria. Je m'installe dans un camping à côté de deux cyclistes, un Japonais et une sud-africaine. Birgit, la quarantaine, blonde aux yeux bleus, de mère allemande et de père sud-africain voyage en vélo depuis un an. Elle a quitté son boulot dans le marketing à Londres pour traverser l'Europe, l'Asie Centrale, le Japon et la  Corée avant de prendre un vol pour Livingstone. Sur les réseaux sociaux elle cherchait un équipier pour aller jusqu'au Cap à travers la Namibie. Je lui propose de l'accompagner. Ce sera une nouvelle expérience. Avant d'entamer notre parcours nous partons ensemble à vélo visiter les Chutes Victoria.

          Le Zambèze qui marque la frontière entre la Zambie et le Zimbabwe, se jette dans une faille et s'échappe par un canyon. En cette fin de saison des pluies le niveau d'eau est à son maximum. On passe de longues minutes à regarder la vapeur d'eau remonter de la chute et à écouter le vacarme généré par le puissant flot de liquide.
"Mosi-Oa-Tunya" c'est à dire "la fumée qui gronde" mérite bien son nom local.
A l'approche du coucher de soleil l'arc-en-ciel qui épouse la forme du pont style Eiffel est une merveille. Vu du bord, la légère structure métallique semble flotter sur les couleurs du spectre solaire. Nous faisons quelques pas sur le pont pour dominer le tumulte des eaux au fond de la faille. Impossible de discuter tellement le bruit est assourdissant. Un aller-retour et nous sommes trempés.  Avec la Grande Muraille, le Grand Canyon, et la Cordillère des Andes, c'est un des plus beaux sites naturels du monde.

        Birgit avec son vélo de randonnée bien équipé, pédale à un bon rythme. Nous échangeons  sur nos façons de voir le voyage, nos propres capacités et limites cyclistes et nos attentes. Nous avons suffisamment voyagé tous les deux et improvisé dans des situations inhabituelles, que nous devrions pouvoir cohabiter pendant un mois et demi. L'avenir nous le dira !

       Un jour de repos et nous partons en duo direction la Namibie. Il est tôt le matin, la température est fraîche, des zèbres et des girafes peu farouches nous regardent passer. Un peu plus loin sur un affluent du Zambèze, un pêcheur qui navigue sur une pirogue traditionnelle taillée dans un tronc d'arbre, nous salue au passage. Les enfants qui vont à l'école en vélo nous suivent un bout de chemin en riant. Les villages traditionnels, avec leurs énormes silos à maïs en roseaux, se succédent jusqu'à la frontière namibienne. Aux points d'eau, les locaux qui font la queue pour remplir leurs énormes bidons jaunes me laissent passer ou me remplissent même gentiment les bouteilles.

        Pour passer la frontière nous évitons le point remarquable nommé "quadri point africain" qui délimite la frontière de quatre pays: Namibie, Botswana, Zambie et Zimbabwe. Ce partage de terre négocié entre anglais et allemand en 1890 a survécu jusqu'à aujourdhui à tous les bouleversements coloniaux.

Deux semaines en Zambie en toute tranquillité. Un pays où les gens sont accueillants et agréables. Et pour couronner le tout, le magnifique spectacle de la nature. Que demander de plus !

Statistiques

Distance : 1760 km
Nb jours : 17
Nb jours de vélo : 14
Nb jours de repos : 3
Etape la plus longue : 186 km
Etape la plus courte : 106 km

Total depuis le début

Distance : 67398 km
Nb jours : 957
Nb jours de vélo : 653
Nb jours de repos : 304
Etape la plus longue : 257 km ( Australie, Nullarbor)
Etape la plus courte : 26 km
Plus haut col : 5130m, Abra Azuca, Pérou
Crevaison : 21
Rayon cassé roue arrière: 9 ( ancien vélo décathlon à 100€)
temp. max/min : 49°C ( Australie) / -15°C ( Utah, USA)












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