Namibie
19 mai - 23 juin 2018
Nous entrons en Namibie par le couloir de Caprivi. Une bande de terre de 450 km de long et 30 km de large entre l'Angola au nord et le Botswana au sud. Elle tire son nom de Leo von Caprivi le chancelier allemand qui a négocié avec l'Angleterre un accès entre le Sud-Est Africain Allemand (ancien nom de la Namibie) et l'Afrique de l'Est allemande (pour partie la Tanzanie) aussi sous contrôle germanique. Le traité d'Heligoland-Zanzibar en 1890 valide l'échange de Zanzibar contre la bande de Caprivi et l'île d'Heligoland en mer du Nord.
Passé la frontière on sent que le pays est plus développé que ses voisins. A côté des petits commerces, les enseignes de supermarchés sud africaines font leur apparition. Les banques ont des guichets à l'européenne. Il est samedi, leur rideaux sont tirés. Je n'avais de toute façon pas l'intention d'y entrer. Le change sur le bord de la route est bien plus avantageux.
Si la Namibie est le second pays présentant la plus faible densité au monde, les enfants sont nombreux et nous demandent bonbons, "money" ou nous crient simplement "give me" sans objet. Je m'étais habitué à plus de tranquillité en Zambie, où les habitants sont plus farouches et plus timides. Ils ne sont pas plus pauvres ni plus malheureux que leurs voisins zambiens, mais il leur est plus facile de quémander au passage des touristes qui se laissent attendrir par la pauvreté ambiante.
Nous roulons sur une route droite en bon état. A 800m d'altitude, la température est agréable. Le paysage alentour est resté vert à la fin de la saison des pluies. La savane densément couverte d'arbustes est parsemée de grands arbres. Peu de villages, peu de trafic, la nature brute tout autour. Ça me convient parfaitement. Deux jours plus tard nous arrivons à l'entrée du Bwabwata National Park ex Caprivi Game Park qui n'a jamais été un parc d'attraction, comme son nom semble l'indiquer, mais une réserve naturelle.
La traversée en vélo est interdite pour des raisons de sécurité. "Trop dangereux" nous dit le ranger de garde avec qui nous négocions. Finalement il ferme les yeux sur notre passage en nous rappelant que nous le faisons à nos risques et périls. J'ai souvent vécu cette situation d'interdiction de passer ou de traverser, qu'il est facile de contourner dans les pays les moins développés. Les autorités ferment souvent les yeux car il n'y pas toujours d'alternative ! Braver les interdits, quel que soit le pays, c'est l'adrénaline qui fait le piquant du voyage !
Les traces de pas des éléphants et leurs excréments sont visibles à même la route. Un seul éléphant solitaire caché au milieu de la végétation daignera se montrer. Un peu plus loin, les couloirs de passage des springboks, ces élégantes antilopes, sont marqués comme des pistes dans la savane.
La menace venant des animaux sauvage est minime, mais nous prendrons la précaution de dormir dans les zones habitées et protégées. Notre première nuit, nous la passons dans un poste de rangers. Les gardes en uniforme kaki, particulièrement gentils, nous demandent d'installer nos deux tentes dans un espace grillagé et fermé la nuit. Nous avons accès à une douche et aux toilettes. Birgit est ravie. Comme elle n'est pas équipée pour la cuisine, je prépare un repas chaud pour deux avec mon réchaud. Ce sera pâtes ou riz avec des légumes et quelques épices. Pas varié, mais efficace pour nos efforts quotidiens.
Comme dans beaucoup de parc nationaux, les animaux sont libres de mouvement et les humains barricadés dans une enceinte grillagée ! Les villages locaux font de même en protégeant leurs lopins de terre par des palissades en bois empêchant le passage des animaux sauvages.
Dans la nuit, je suis réveillé par le rugissement rauque des lions qui se propage dans la savane.
Sont-ils en chasse ?
A quelle distance ?
Combien ?
Passé une ou deux minutes de surprise et d'inquiétude, je guette le prochain, le moindre bruit.
Est-ce que le son se rapproche ou s'éloigne ?
Une demi-heure de doute, puis le silence revient et je me rendors.
Birgit se renseigne le lendemain matin. Les rangers nous assurerons que les lions n'étaient pas à proximité immédiate du poste. En fonction du vent, leurs rugissements peuvent se diffuser à plusieurs kilomètres. Ouf !
Les panneaux signalant la traversée des animaux sauvages sont plus loufoques les uns que les autres: éléphant, hyène, girafe, phacochère. Nous traversons la rivière Mashi gonflée par les pluies des mois précédents, puis l'Okavango un fleuve endoréique qui prend sa source dans les montagnes angolaise et se perd à la porte du Kalahari dans un immense delta sans jamais rejoindre l'océan. Le delta popularisé par l'émission Ushuaia est parait-il magnifique. Faire un détour au Bostwana pour le visiter ne fait pas partie de mes plans.
Deuxième arrêt dans une station de police pour la nuit. Nous entrons, personne ! Après dix minutes d'attente arrive un individu tout débraillé, sans uniforme, qui a l'air de se réveiller, c'est le policier de permanence. La douche est froide, les toilettes sont douteuses.
La qualité du service policier se dégrade !
Peu après la sortie du parc sur notre gauche, un énorme attroupement: c'est un marché. Chaque marchand étale une bâche sur le sol où sont présentés pêle-mêle des vêtements, des chaussures, des gadgets fabriqués en Chine. Birgit achète deux pains au maïs. Ils ont la forme d'un pain de mie et la consistance d'une baguette avec une croûte craquante. De quoi agrémenter notre ration quotidienne. Les paysans pratiquent encore la culture archaïque sur brulis. De grandes étendues noircies de chaque côté de la route sont notre paysage quotidien. Les artisans locaux exposent leur travail: des pilons, des djembés, des objets en bois par dizaines jalonent le bord de cette route touristique. Aucune surveillance en apparence jusqu'à l'arrivée d'un visiteur. Là, c'est une négociation qui s'engage avec force gestes et éclats de voix. Les clients sont rares, mais les affaires ne semblent pas si mauvaises. Le soir nous nous écartons de la route pour installer notre campement. Notre arrivée intrigue les animaux curieux, qui viennent dès la nuit tombée renifler tout près de nos tentes. Dans la nuit, le premier souffle bruyant des oryx à quelques centimètres de la toile est inquiétant. Un simple petit cri ou un mouvement suffit à les éloigner et à se rassurer.
A Rundu tout prêt de la frontière angolaise nous prenons la route du Sud vers Grootfontein. Arrivé à Mururani, la limite sud de l'état du Kavango East, nous traversons un poste de contrôle vétérinaire. En effet, les animaux arrivant du sud peuvent circuler librement, mais l'inverse oblige les transporteurs à un contrôle sanitaire des animaux venant du nord. Quand on sait que les élevages tenus par des blancs sont tous situés au sud, on comprend tout de suite les raisons de ce contrôle: limiter l'arrivée sur le marché namibien, d'animaux autre que ceux des grands élevages intensifs sous un prétexte de santé publique. La main mise des blancs sur l'économie namibienne est flagrante. Ce sont les vestiges durables de la colonisation allemande puis sud africaine à l'époque de l'apartheid. Ces mêmes blancs possèdent de grands territoires de chasse appelés "game" où "jouent" les chasseurs fortunés qui peuvent tirer des animaux sauvages. Pour une grosse liasse de dollars et une autorisation spéciale il est exceptionnellement possible de tuer des animaux protégés pour réguler leur nombre !
Notre quotidien est fait de longues lignes droites plates et monotones. Le seul élément qui se différencie du paysage est une voie ferrée étroite, probablement construite à la fin du 19ème siècle pour transporter du minerai vers la côte, qui s'étire au loin comme un trait de crayon.
Birgit roule bien mieux que certains autres cyclistes masculins qui m'ont déjà accompagnés. Nous faisons des étapes de 100 à 120 kilomètres par jour sur le bitume.
Le paysage devient de plus en plus désertique. La végétation se raréfie, laissant apparaitre des étendues caillouteuses à l'aspect martien. Nous faisons halte dès le milieu d'après-midi pour trouver un campement agréable à l'écart de la route. Il faut ensuite déballer nos affaires, monter la tente et préparer le repas. Une fois réglé les obligations "domestiques' on se pose pour la pause. C'est le moment de bavarder un peu (surtout Birgit). Refaire le monde, comparer nos modes de vies, nos cultures, nos façons de voir les pays que nous traversons. Parler du regard des gens à notre contact dans les différents pays. Les sujets de discussion sont nombreux mais pas toujours consensuel. Par exemple, Birgit avec sa culture anglo-saxonne ne comprend pas le système de retraite par répartition français qui fait payer aux actifs les pensions des retraités. Malgré mes arguments, elle persiste à affirmer que les retraites par capitalisation responsabilisent davantage les salariés qui reçoivent une pension à la hauteur de leur épargne une fois leur carrière terminée. Quel est le système le plus juste ? La réponse dépend de la culture ! Les anglo-saxons à majorité protestante qui ont un respect de l'intérêt général, exigent une contre partie pour toute prestation sociale et refusent l'assistanat. Les latins comme nous, plus individualistes, assurent la solidarité intergénérationnelle ou sociale par la redistribution. Nous ne sommes pas tombés d'accord mais nous avons beaucoup appris de la culture de l'autre.
Nous sommes tous les deux "hors du temps". Nous avons chacun à notre manière choisi de prendre le temps de vivre l'instant présent autrement que dans la routine quotidienne "occidentale". Oubliées les contraintes temporelles du boulot pour avoir le temps de s'arrêter pour observer un animal, un paysage ou discuter avec un autochtone. Plus de réveil, on se couche et on se lève avec le soleil. Les difficultés physiques et météorologiques sont notre quotidien. Pour notre plus grande satisfaction, on avance à notre rythme avec un objectif géographique mais rarement des limites de temps.
Dès le coucher du soleil, la température baisse instantanément. Une nuit dans la savane, en plein sommeil, je ressens une brulure soudaine au niveau de mon œil droit. Comme si j'avais touché une plante d'ortie. Je me frotte longuement la paupière et je me rendors au bout de quelques minutes. Au lever le lendemain, impossible d'ouvrir mon œil droit. Je me regarde dans mon smartphone pour évaluer la blessure.
Surprise !
Je ressemble à Quasimodo ou à un adversaire de Mike Tison au 3ème round !
Ma paupière est grosse comme un œuf.
La douleur, la blessure, la maladie, font partie du voyage. Il faut en permanence évaluer les risques et les conséquences éventuelles. J'ai appris à écouter mon corps et à faire confiance à mon instinct pour ne pas dépasser les limites. Savoir s'arrêter quand on est très fatigué ou continuer quand on sent la fatigue passagère.
Le seul vrai remède c'est le temps !
Aujourd'hui la bosse sur mon visage est visuellement impressionnante mais indolore. Birgit me regarde avec inquiétude. Je la rassure et je décide de poursuivre la route. Rouler sans sa vue stéréoscopique, ce n'est pas si difficile. Je suppose que j'ai eu affaire à un insecte urticant. J'ai eu la sensation de revivre la brulure au contact des chenilles processionnaires qui pullulent dans les collines provençales au printemps. Ma paupière dégonfle lentement au cours de la journée. Ce soir là, harassé de fatigue, je m'endors en un clin d'oeil (gauche). Le lendemain soir, le gonflement a totalement disparu.
A Otjiwarongo nous laissons la route vers Winhoeck la capitale sur notre gauche pour suivre la piste vers l'ouest et la côte atlantique. Nous alternons des routes asphaltées et des pistes sableuses, caillouteuses et toujours poussiéreuses. Les portions de tôle ondulée nous secouent des fesses au sommet du crâne. Pourtant les pistes sont régulièrement entretenues par des niveleuses qui font la navette entre les villes. Nous faisons halte régulièrement sous les rares arbres qui réussissent à résister à la forte sècheresse. Pour installer le campement nous nous éloignons de la route. Erreur ! Les restes d'épineux bien secs percent nos pneus pourtant renforcés. La longueur des épines est impressionnante. Le matin au moment du départ il faut réparer les crevaisons. Pas cool !
Les jours suivants nous aurons le plus grand mal à trouver un endroit calme sans végétation piquante pour passer la nuit. Dans la pénombre, je m'installe souvent hors de ma tente dans mon duvet. Le ciel est constellée d'étoiles, pas un coin sans un point lumineux. La sérénité de la voute céleste m'envahit ! Magique ! Une vue du ciel qui n'est plus à la portée des européens tant la pollution lumineuse est intense.
Juste quelques villages en bord de route composés de huttes faites de bois disposé verticalement surmontés d'un toit en tôle ondulée. Certains murs sont recouverts de terre rouge pour mieux protéger les occupants de la chaleur.
Peu avant Uis, sur notre droite, le massif du Brandberg sort du désert. Le soleil couchant illumine ce dôme granitique de couleur légèrement rosé. Mieux qu'une carte postale ! Issu d'une ancienne poussée magmatique, il est apparu au fil du temps et de l'érosion des plaines alentours laissant dépasser le point culminant de la Namibie: le Königstein ou "Pierre du roi".
Dans ce pays minier les terrils sont nombreux. Un mamelon d'un blanc pur est le seul visible d'aussi loin. Ce sont les rebuts d'une mine de sel. A la sortie d'Uis nous prenons plein ouest vers Henties Bay. Birgit trouve le terrain trop difficile. "Ça me saoule" me dit-elle, "je vais faire du stop". Moins de cinq minutes d'attente, un pick-up s'arrête, charge son vélo et l'emmène à Henties Bay. J'entre dans le désert "désertique". Des cailloux à perte de vue. L'horizon est si lointain qu'on se demande si la plaine à une fin. C'est le paysage que j'aime. Impossible de me soustraire à "
l'appel du désert". Seul dans l'immensité, je retrouve la sensation des plaines de Patagonie sans le vent de face, de l'altiplano andin sans l'altitude ou du désert de sable australien sans la chaleur écrasante. Je suis dans mon élément. Ma salle à manger est un désert, ma chambre est un désert et même ma nourriture a le goût du désert. Je jubile. Je roule, je pousse sur les pédales, je fonce sur une piste sableuse jusqu'à l'entrée du Parc National Dorob.
Nous arrivons en vue de l'océan Atlantique. Nous longeons la Skeleton Coast ou Côte des Squelettes. J'ai l'impression de revivre la route côtière péruvienne. D'un côté le désert avec ses dunes de sable et de l'autre la côte balayée par les rouleaux de la mer déchainée. Rouler avec le bruit des vagues comme musique de fond, c'est le pied !
Quelques kilomètres plus loin, un bateau échoué tout près de la côte et des squelettes humains reconstitués à partir d'os de mammifères marins sont le point d'attraction des touristes de passage. Je fais une photo comme eux ! Ça n'a pas duré plus de trois minutes, que je suis harcelé par les vendeurs de pierres précieuses. Pour moi, non initié, je ne vois que de vulgaire cailloux. Je sens l'arnaque. J'évite ce piège à touriste. Direction Henties Bay le lieu touristique côtier le plus au nord de la Namibie. Une plongée en Europe pour les touristes (blancs) sud-africains. Des rues tirées au cordeau, la trace des colons germaniques ! Les maisons bien entretenues se situent bien en retrait de la plage sur un plateau sableux.
Après Henties Bay la piste est un mélange de sable et de sel. La trace des roues des véhicules semble humide. Dans ce lieu hyper sec, le sel concentre la vapeur d'eau venant de l'océan. L'humidité nocturne est impressionnante. Ma tente est trempée chaque matin. La brume de mer s'estompe dès que la température monte. Après Swakopmund, nous arrivons à Langstrand (longue plage) une étape planifiée par Birgit qui à trouvé un hébergement. Nous emménageons dans un appartement d'une résidence de vacances prêté par la voisine de sa mère. Deux chambres, un grand salon et deux salles de bains.
Dormir dans un lit: le grand luxe !
Après trois semaines de régime pâtes-riz, le festin est à nous ! Tout sera "maison": houmous, gnocchi (la recette de mon arrière grand-mère piémontaise), pizza, pain aux olives, sauce tomate et fruits et légumes frais. Dans cette cité balnéaire les prix des denrées sont les mêmes qu'en Europe. Les fruits venus d'Afrique du Sud sont un luxe. Cinq jours de repos qui font le plus grand bien à nos organismes.
L'étape suivante est Walvis Bay un port industriel sans charme. Nous faisons provision d'eau (12 litres) et de nourriture pour 7 jours. Birgit ne veut pas trop charger son vélo. Elle se contente de 5 litres et fera " la manche" sur la route en arrêtant quelques voitures pour leur demander un peu d'eau. Il suffit de lever le bras à l'approche d'un véhicule pour qu'il s'arrête. En plus de l'eau, on nous offre du soda, des bonbons, des biscuits ... Exactement le même comportement que lors de ma traversée du désert australien. Dans les espaces inhospitaliers la solidarité est étonnante et universelle !
Nous suivons la côte sur dix kilomètres. C'est une suite de marais côtiers envahis par des colonies de flamants roses. Encore plus colorés le soir au coucher du soleil ! En quittant le Dorob National Park nous nous éloignons de la côte. L'accès au Namib Naukluft National Park est impossible depuis la côte.
Les matins sont frais: 1 à 5°C. Le lendemain, fini le bitume. Après avoir bifurqué sur une piste qui suit le Namib au plus près, nous croisons un couple de septuagénaires français à vélo qui va vers le nord. Grand sourire, heureux de visiter la Namibie en vélo. Je suis admiratif de leur performance sportive. J'espère pouvoir en faire autant à leur âge !
Le vent typique des grandes plaines et des déserts n'est pas le bienvenu. Il se lève vers dix heures, contrarie notre progression et se calme la nuit venue. Une belle couche de poussière nous recouvre entièrement. Après les longues lignes droites, la piste serpente au milieu des collines désertiques de l'intérieur du Namib. Nous nous arrêtons sur le bord de la piste. Je passe de longues minutes assis à regarder ces ondulations quand la lumière décline. Le soir nous devons sauter les clôtures pour trouver un endroit pour dormir. Il faut enlever les sacoches, les bagages, les bouteilles d'eau et les passer au dessus des grillages ou des barbelés, en faire autant pour les vélos, puis tout transporter sur deux à trois cent mètres pour s'éloigner visuellement de la piste. Des efforts supplémentaires après une longue journée. C'est chiant ! Mais il n'y a aucune alternative.
Nous n'avons pas trouvé de lieu pour recharger nos téléphones depuis deux jours. Je sors mon panneau solaire à chaque pause ou le soir au bivouac. Il est un peu lourd mais il suffit largement à recharger nos batteries.
A partir de Solitaire "la bien nommée" on commence à voir sur notre gauche les premières dunes du Namib, le plus vieux désert du monde. Encore un désert côtier dont nous voyons la partie orientale. Les dunes se détachent du reste de la plaine par leur couleur ocre rouge. Ces tas de sables mouvants au gré des tempêtes venues de l'océan avancent inexorablement vers l'intérieur des terres. Les rarissimes arbres qui peinaient à résister à la sècheresse sont lentement engloutis par la partie la plus abrupte de la montagne de sable. Après Sesriem, nous quittons la piste principale, pour rejoindre l'entrée du Parc. Les vélos sont interdits. Et là pas moyens de tricher ! Nous les laissons sur le parking. Un sac à dos chacun et une réserve d'eau devrait suffire pour la journée. Nous faisons du stop pour aller à Dune 45, le point le plus spectaculaire du Parc. Le premier 4x4 qui passe s'arrête. C'est un couple d'allemand qui nous prend et nous demande ce que nous faisons là à pied. Birgit explique nos parcours et nos aventures. 15 km plus loin nous arrivons. Le point Dune 45 est situé dans une trouée au fond de laquelle coule, quand les pluies sont suffisantes, une rivière éphémère la Sossuvlei (difficile à prononcer pour un non néerlandophone). Autant dire très rarement. Les dunes forment de longs épis de part et d'autre du lit asséché et blanchi par le sel. Nous montons pied nus sur les dunes pour prendre un peu de hauteur. Le seul sentier praticable est situé sur la crête. Le sable est doux et chaud sous nos pieds. Le passage des touristes a labouré le frêle sommet et créé un profond sillon. Les pentes sont sculptées de milliers d'ondulations côté vent dominant et lisses et abruptes sur l'autre versant. Le paysage du Namib est grandiose. Impossible de trouver tous les mots pour décrire ces merveilles. Mes yeux s'en souviendrons longtemps !
Après deux heures de balade sur les dunes nous redescendons dans le lit de la rivière. Nous faisons du stop pour retourner à l'entrée du Parc. Un pickup de rangers du Parc s'arrête et nous demande:
- Que voulez-vous?
- Sortir du parc !
- Pourquoi êtes-vous là ?
- Nous sommes venus en stop !
- Ça ne se fait pas. Les blancs paient un taxi pour ça !
Finalement après quelques palabres, les rangers accompagnés de leur manager acceptent d'emmener dans leur tournée notre duo atypique, qui n'a pas d'argent ni de véhicule. Au bout de dix minutes de piste, ils se dérident et notre balade dans les dunes se passe dans une franche rigolade. Nous profitons de leur connaissance des lieux pour visiter des zones peu fréquentées. Nous les suivons à pied sur une dune bicolore brun-ocre rouge magnifique. On nous offre même une bière dans la voiture. Le manager nous avoue avec un tantinet d'ironie que si le prix d'entrée du "plus beau désert du monde" est cher, c'est pour "faire payer le colonisateur". Nous avons versé notre obole, en espérant sans trop d'illusions qu'elle ruisselle jusqu'au plus profond de la Namibie.
Après cette journée magnifique, nous suivons la route qui longe le désert pendant deux jours. Aux dernières dunes nous faisons un arrêt pour admirer une dernière fois ces géantes de sable. Le dernier désert de mon périple est maintenant derrière moi. Une page de plus qui se tourne dans l'album de ma mémoire.
Les rares arbres sont couverts de nids de républicains sociaux. Ces oiseaux nichent dans cet habitat collectif constitué de centaines de nids qui ressemblent à une énorme botte de foin déstructurée en équilibre sur une grosse branche. Nous sommes dans un autre désert, le sable a laissé place aux cailloux. Une impression de paysage martien ! En direction du sud, notre étape suivante est le Fish River Canyon. Juste avant d'y arriver, je franchis la barre des 70000km. Nous fêtons ça avec une bouteille de gin achetée la veille dans une ferme distillerie. Je trace sur le sol le nombre de km avec de magnifiques cailloux et Birgit immortalise la scène avec mon vélo et le canyon en perspective. Je transfèrerai la photo sur les réseaux sociaux au prochain point wifi. Encore un paysage hors du commun. Ici, les restes du plateau original grignotés par l'érosion ressemblent aux pattes d'un gigantesque félin striés par les strates colorées qui ornent les falaises. Nous sommes fascinés par la beauté du site. Je me revois dans la même situation au bord du Grand Canyon assis à scruter le fond de la dépression pour chercher à apercevoir le fleuve. Le Fish River Canyon n'est pas aussi grandiose, pourtant les deux panoramas se ressemblent beaucoup.
70000km à vélo. Si j'ajoute les 4000km en autostop et la traversée en train de la Russie et de la Mongolie (9000km) je viens de faire deux fois le tour de la planète. Ce n'était pas mon objectif premier, mais je ressens une immense satisfaction. Quel plaisir d'y être arrivé !
Ce soir-là, après six jours de bivouac, Birgit décide de passer la nuit au camping. Pour ma part, je refuse de payer pour poser ma tente. Je vais m'installer un peu plus loin dans le bush. Dix minutes après arrive Birgit fortement agacée et déçue par le confort du lieu. 20$ pour une douche froide et un emplacement à peine ombragé; "it's a scam" (une arnaque) me dit-elle. Ce soir, ce sera encore une fois une toilette à la bouteille d'eau. J'ai perfectionné la technique pour consommer le moins possible. Je met un bouchon percé d'un petit trou sur ma bouteille et je fais ruisseler le filet d'eau lentement depuis la tête sur le corps et les mains, pour ne pas en perdre une goutte. J'arrive à utiliser moins d'un litre d'eau en maintenant une hygiène corporelle acceptable. C'est un gain de poids non négligeable dans le désert.
Un peu plus d'un mois après notre entrée en Namibie, nous traversons l'Orange River qui marque la frontière avec l'Afrique du Sud. C'est un temps long qui passe très vite tant ce pays est éblouissant. Le ranger, un brin chauvin, avait raison: les plus beaux paysages d'Afrique sont en Namibie. Nous roulons toujours plus vers le sud en direction de la pointe extrème du continent africain.
Statistiques
Distance : 2762 km
Nb jours : 36
Nb jours de vélo : 31
Nb jours de repos : 5
Etape la plus longue : 130 km
Etape la plus courte : 32 km
Crevaison : 3
Total depuis le début
Distance : 70160 km
Nb jours : 993
Nb jours de vélo : 684
Nb jours de repos : 309
Etape la plus longue : 257 km ( Australie, Nullarbor)
Etape la plus courte : 26 km
Plus haut col : 5130m, Abra Azuca, Pérou
Crevaison : 24
Rayon cassé roue arrière: 9 ( ancien vélo décathlon à 100€)
temp. max/min : 49°C ( Australie) / -15°C ( Utah, USA)