23/08/2018

Ouganda - Rwanda

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04 avril 2018 - 16 avril 2018 : Kampala - Kigali

Ouganda

            Avant de passer la frontière je fais réparer mes chaussures pour 0.40€. Le "cordonnier", qui est assis par terre le long de la route, coud ma semelle avec du fil épais. Un rafistolage en cinq minutes qui ne durera sûrement pas longtemps mais au moins mes chaussures sont en un seul morceau.
Le passage de la frontière n'est pas trop chaotique. Je m'attendais à pire au vu du grand désordre qui règne dans le village. Pour ne pas changer, la douanière me demande 10$. Je dis non et elle me laisse passer sans problème.
Je ne m'habituerai jamais, mais je comprends qu'il est plus facile de demander de l'argent à un blanc que de se mettre au travail. Quand je réponds "non". Beaucoup disent : "OK" et continuent leur chemin sans insister !

             Mon visa qui couvre aussi l'Ouganda est rapidement validé. Après avoir changé mon argent au marché noir, je continue la route: peu de trafic et pas de villages surpeuplés. Seules quelques huttes difficilement visibles jallonent le parcours. Je suis heureux ☺. Aucun "Mzungu give me money". Les gens et les enfants me saluent normalement : " Mzungu Jambo"(Salut le blanc). J'aperçois même au bord de la route des babouins qui ne s'éloignent pas trop de la route sur mon passage. Ces singes chapardeurs habitués au trafic routier, que je surveille toujours du coin de l'œil  sont très vifs pour ramasser ou chiper tout ce qui se mange.
Serais-je arrivé dans le monde sauvage ?
Pas du tout, l'illusion ne durera que quelques dizaines de kilomètres.
Quand je récupère la route principale vers la capitale, les villages qui se succèdent font de nouveau partie du paysage au milieu des champs de riz, canne à sucre, pâturages, ... Pas de grande différence avec le Kenya. Si ce n'est que la culture de la bouffe de rue est plus étoffée. Avec les traditionnels beignets, je trouve des chapatis, des haricots, des soupes. Je mange aussi le plat de luxe nommé "rolex" , un chapati fourré avec œuf, tomates et oignons. Le nom vient de la déformation de l'expression anglaise "rolled eggs". C'est plutôt bon. Le plat de haricots rouges avec chapatis est un Kikomando. J'adore l'inventivité des appellations. Comme au Kenya, le menu n'est pas gourmet, mais ça nourrit. Et puis ce n'est vraiment pas cher. Un kikomando dans un grand bol coûte entre 0.30€ et 0.50€, un chapati 0.20€, le luxeux rolex 0.50€, un épi de maïs grillé 0.10€, ...

             Les barrages policiers sont nombreux tout le long de la route. Je ne comprends pas bien  à quoi ils peuvent servir.
A sécuriser la route ?
A nourrir la corruption ?
Sûrement un peu des deux !
Aucun policier ne m'a arrêté et encore moins sourit. Avec leur tenue blanche et leur lunettes de soleil, ils ressemblent à des généraux de république bananière comme dans une bande dessinée.
Les ougandais sont plus timides que les Kényans. La pression est moins forte, bien qu'ils essaient souvent de me réclamer quelque chose. Comme au Kenya on trouve de minuscules écoles de deux à trois classes surpeuplées en pleine savane en dehors des villages. A la sortie des classes tous les jeunes enfants sont curieux de voir le Mzungu passer. Ils courent pour arriver au bord de route et me saluent en tapant des mains et en criant : "Mzungu, Mzungu, ...". Je les remercie d'un signe de la  main tout en souriant. C'est agréable, pourtant je ne m'arrête pas pour éviter les attroupements.

              Mes journées sont en phase avec le lever et le coucher du soleil. Six heures, au petit jour, après mon café, je plie ma tente et je commence ma journée de vélo. Il y a déjà du monde. Les ougandais qui marchent au bord des routes sont aussi matinaux que moi ☺. Généralement pour le petit déjeuner, je prends des fruits et des chapatis. Au menu du midi, rolex ou kikomando et le soir le repas se limite à un bon plat de pâtes. Comme c'est la saison des pluies, tous les jours en fin d'après-midi j'ai droit au rafraîchissement venu du ciel. J'essaie de m'arrêter avant que la pluie ne commence à me tremper.  Avec un peu moins de monde qu'au Kenya, trouver un endroit où planter sa tente est un "tout petit peu plus facile". Bien que quelques villageois aient aperçu mon campement, personne n'est jamais venu me déranger. Je ne suis jamais très loin d'un village et souvent je peux entendre les chiens aboyer, le coq chanter et la musique. Les radios crachent un son fort et saturé du matin au soir et même au-delà jusqu'à tard dans la nuit ☹.

               Juste avant Kampala, je plante la tente dans un champ de cannes à sucre. Tout semblait parfait, sauf qu'à la nuit tombée des centaines de termites ont attaqué ma tente. Au petit matin je constate les dégâts: elles ont "mangé" le sol de ma tente qui est maintenant percé de centaines de trous. Le lendemain, dans une sorte d'échoppe de bord de route, j'achète  une nappe de table en toile cirée pour protéger ma tente des insectes agressifs. Cette protection est lourde mais tellement bon marché, 1€.

               L'arrivée à Kampala la capitale n'est pas si horrible que je le pensais. Le trafic est moins dense qu'à Nairobi la capitale du Kenya.  Il n'y a pas grand chose à voir dans les grandes villes africaines et Kampala n'échappe pas à la règle. C'est un immense "village" avec un foutoir monstre pour des yeux d'européens. Les piétons zigzaguent entre les voitures et les deux-roues roulent à contre-sens sur les trottoirs ou sur les terrains vagues qui servent de bas-côtés. Dans la circulation, c'est la loi du plus fort ou plutôt du plus "gros" qui s'impose : avec dans l'ordre: camions, 4X4, voitures, moto, vélos, ...  De petits malins plus culottés que les autres arrivent à perturber cet ordre établi en grillant la priorité aux plus gros qu'eux au prix de risques insensés.

              Je me repose trois jours chez Bab, un ami de Pierre, un jeune français qui m'avait hébergé à Nairobi. Mon hôte est un jeune kenyan aisé qui vit dans une maison récemment offerte par son père. Comme beaucoup d'expatriés, Bab a une personne à son service qui s'occupe de tout. On peut appeler ça un homme à tout faire ou un "valet".
En arrivant c'est Nathan qui m'accueille.  Il a une vingtaine d'années, a quitté sa femme et sa fille  qui vivent au nord de l'Ouganda pour venir travailler dans la capitale. Il travaille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour 50$ par mois, nourri, logé et blanchi. Avec son maigre salaire, il arrive à faire vivre sa famille et envoyer sa fille à l'école. Il est toujours souriant et super positif. Avec un certain fatalisme, il ne se plaint pas de sa condition. Son employeur et "maitre" est souvent en déplacement entre le Kenya et l'Ouganda et il lui paie son salaire sans délai chaque mois. Ce qui n'est pas si courant dans la société "féodale" et urbaine africaine, où les plus aisés traitent souvent les employés venus des campagnes comme des serfs.

               Un soir alors que Bab est parti faire la fête, je reste avec Nathan et ses amis. Je lui  donne 2$ pour acheter les ingrédients nécessaire à la préparation  d'un repas pour nous tous.  Sur un réchaud à bois à même le sol, Nathan nous fait de fabuleux chapatis☺ que nous dégustons assis sur une natte en roseau tout en discutant. Ces jeunes ougandais de famille pauvres ont des projets pleins la tête dans cette Afrique de l'Est en pleine croissance: un petit commerce, une mototaxi ou simplement un bout de terre pour être autosuffisant.  Pour clôturer le repas ses amis me proposent de l'alcool conditionné en sachet. C'est la première fois que je vois ça. En Amérique Centrale l'eau était vendue en sachet mais pas l'alcool. Rien de tel pour être bourré: c'est pas cher et efficace. Par contre le goût est horrible comme de l'alcool à brûler de "mauvaise qualité" !

                  Mon expérience de sept jours à travers l'Ouganda est restée cantonnée aux routes principales. Avec la saison des pluies, je n'ai pas eu la force d'affronter les pistes boueuses. Je ne peux en aucun cas dire que ma vision du pays est "complète".
Une prochaine fois peut-être.





Rwanda

               La file d'attente à la frontière entre l'Ouganda et le Rwanda est longue de plusieurs centaines de mètres. Comme à mon habitude, je double toutes les voitures et camions. En suivant la file il me faudrait deux jours pour passer d'un pays à l'autre. Avec mon visa "East Africa" qui couvre le Kenya, l'Ouganda et le Rwanda le passage par la douane est presque facile. Comme dans un grand nombre de pays il faut remplir un formulaire "bidon" (nom, prénom, numéro de passeport, ...) dont tout le monde se fout.
Mais c'est nécessaire.
Evidemment il y a toujours la case : "adresse dans le pays" qu'il faut absolument compléter bien que l'administration locale sache que tu es touriste et que tu n'a pas forcément réservé un hôtel ou un appartement pour tout ton séjour !
Cette fois-ci j'ai inscrit "Camping Kigali". Camping c'est mon quotidien et Kigali est la capitale. Rien de plus simple du moment que le champ est rempli !
Et ça passe.
"Putain de bureaucratie inutile" !

               Après l'Ouganda où les villages étaient vivants, je passe au Rwanda où les quelques hameaux près de la frontière sont vraiment très calmes. Peu de commerces qui ne vendent que de la mal bouffe industrielle. Pas de fruits ou légumes. Pas de cuisine de rue. C'est le néant culinaire!
Heureusement le décor jusqu'à Kigali est extraordinaire. Le Rwanda est bien le "pays des milles collines". La route vers la capitale traverse une vallée à mille cinq cents mètres d'altitude où la population vit exclusivement de la culture du thé.  Les plantations couvrent les petites collines à gauche et à droite de la route à perte de vue. Quand le brouillard du matin s'évapore on voit apparaitre un paysage d'un vert brillant, grandiose et reposant. Je monte et je descends des dizaines de côtes faciles sous un climat humide adouci par l'altitude.
J'adore !

              En ce mois d'avril où la pluviométrie est la plus forte de la saison des pluies, prendre les pistes me m'a guère tenté. J'ai suivi la route principale dont certaines portions dépourvues de goudron faisait place à une piste boueuse de couleur rouge. Une terre pas trop collante qui ne m'a pas empêché d'avancer mais qui m'a régulièrement transformé en bonhomme de boue. Le soir, quand je suis dans un état lamentable, la douche à l'aide de ma bouteille est vraiment indispensable !

              Au Rwanda les transports en commun sont inexistants. C'est le royaume des taxis en tous genres : voitures, motos et vélos.
Avec des jeunes au guidon, les vélos-taxis pullulent dans les zones où la route est plate. Un porte-bagage made in Africa en fer forgé "maison" sur lequel est attaché un coussin aux milles couleurs sert de siège pour le confort du passager. D'autres vélos robustes transportent un poids ou un volume impressionnant: plusieurs régimes de bananes, des dizaines de bidons d'eau ou des kilos de fruits.
 Les conducteurs sont super sympas et souriants avec moi, mais ils n'aiment pas du tout se faire doubler par un blanc avec un vélo chargé. A partir du moment où je les dépasse, ils accélèrent le rythme pour me suivre et pour les meilleurs réussissent à me doubler. Ils peuvent me suivre pendant plusieurs kilomètres. La barrière de la langue fait que la discussion tourne court. Le Rwanda est une ancienne colonie française où beaucoup de lieux et de commerces portent encore des noms français. Mais les jeunes ne le parlent plus. Ils baragouinent tout juste quelques syllabes d'anglais enseignées à l'école primaire.
Les montées sont extrêmement difficiles pour eux avec leurs vélos qui ne possèdent pas de vitesse. Deux solutions : marcher en poussant son vélo ou s'accrocher derrière un camion pour grimper sans effort. Il n'est pas rare de voir quatre à cinq vélos-taxis accrochés par le bras derrière un camion hors d'âge crachant une fumée noire dans les montées !

                 Petite anecdote avant de finir cet article.
Juste après avoir traversé la frontière du Rwanda, je cherchais un point d'eau pour me ravitailler. Je m'arrête dans un village où je vois une sorte de fontaine avec des robinets.
Surprise en arrivant sur place: de petits malins ont enlevés la manette des robinets !
Un jeune rwandais s'approche de moi et me dit :
"Water ? Give me money"
Je souris, et lui réponds fermement:
- NON !
- Je ne paie pas pour de l'eau publique.
Ouvrir un robinet, il n'y a rien de plus facile. Je sors de mon sac mon outil magique : la clé à molette. Juste au moment où je présente la clé pour ouvrir, arrive le vieux "gérant"  avec la manette à la main. Je remplis mes bouteilles, je remercie le "maître" du robinet et je fais un joli sourire au gamin qui voulait obtenir quelques centimes d'euros. Puis je pars comme un prince ☺ au milieu d'une dizaine de personnes qui entre-temps s'étaient amassées autour de moi. Un rite habituel !

Bye bye Rwanda, prochaine étape la Tanzanie



Statistiques

Distance : 935  km
Nb jours : 13
Nb jours de vélo : 9
Nb jours de repos : 4
Etape la plus longue :  137 km
Etape la plus courte :  78 km

Total depuis le début

Distance : 64039 km
Nb jours : 925
Nb jours de vélo : 627
Nb jours de repos : 298
Etape la plus longue : 257 km ( Australie, Nullarbor)
Etape la plus courte : 26 km
Plus haut col : 5130m, Abra Azuca, Pérou
Crevaison : 21
Rayon cassé roue arrière: 9 ( ancien vélo décathlon à 100€)
temp. max/min : 49°C ( Australie) / -15°C ( Utah, USA)

La Suite...

09/08/2018

Kenya : Mzungu, how are you ?

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30 mars 2018 - 03 avril 2018 - Nairobi - Narok - Busia

         Après 36 heures d'avion j'atterris à Nairobi, la capitale du Kenya. Je me déleste de 100$ pour payer mon visa "East Africa". Il couvre trois pays, le Kenya, l'Ouganda et le Rwanda. Tout de suite après je suis mis dans l'ambiance. Un agent de sécurité m'aide à charger mes bagages sur le chariot, sans que je lui ai demandé quoi que ce soit. Puis me demande 2$ pour son café. Je décline avec un sourire et continue ma route vers la vérification des bagages. Le scanner est en panne, l'agent des douanes regarde seulement mes cartons et me laisse passer. Je monte mon vélo sous le regard attentif du personnel de l'aéroport. Il y a toujours au moins une personne qui me questionne et analyse mon vélo.
Rouler jusqu'au centre ville de la capitale kényane n'est en aucun cas un plaisir. Trop de trafic, de bouchons et de klaxons ! Entre les files de voitures, des vendeurs à la sauvette vendent toutes sortes de choses : fruits, boissons, accessoires pour smartphone, paniers en osier, bassines, ... Un changement radical comparé aux USA.

             Le lendemain soir, mes parents arrivent et nous passons deux semaines à travers les plus beaux endroits du pays.
Puis c'est le retour au vélo. Avec une nouvelle selle, chaine, cassette, pneus, ... L'aventure continue direction l'ouest, l'Ouganda et le Rwanda.
Je sors de Nairobi la capitale par les petites routes, parfois même pas goudronnées. Pas de trafic, c'est déjà ça ☺.

             Plutôt que de prendre la route principale jusqu'en Ouganda, je choisis de passer par le sud et la ville de Narok. La même route que j'avais pris pour aller jusqu'au parc national Masai Mara avec mes parents. Au lieu de m'arrêter dans les boutiques "spéciales" touristes le long de la vallée du Rift, je fais quelques centaines de mètres et je bois mon thé avec les locaux.
Le prix est bien différent : 10 kes (0.08€) alors qu'avec mes parents, on avait payé 200 kes (1.60€). 20 fois plus cher ! Pour la même chose.
Les touristes en minibus me doublent sans un sourire. A croire qu'ils ne sont pas heureux d'être en vacances à l'autre bout du monde. Les locaux par contre sont plus enthousiastes lors de mon passage. Ils me saluent avec un grand sourire et klaxonnent.

            Peu avant de trouver un endroit pour camper, je m'arrête acheter des tomates dans un petit village fait de maisons en tôles ondulées multicolores. En quelques secondes un attroupement se forme autour de moi. Une dizaine de jeunes touchent mon vélo et me posent des questions qui tournent souvent autour de l'argent :
Combien coûte ton vélo ?
Combien coûtent tes sacoches ? ...
Je réponds brièvement tout en récupérant mon achat puis je pars en me frayant un passage à travers le groupe. J'aime bien discuter avec les locaux mais là je ne me sens pas vraiment à l'aise. Trop de monde, trop près et trop tactile ! Jusqu'au Rwanda, il va bien falloir que je m'habitue à cette foule dans ces pays densément peuplés.

             Ma première nuit dans la brousse est calme et reposante. C'est la saison des pluies et je suis chanceux de passer à côté de l'orage. Par contre je n'ai pas réussi à éviter les épines monstrueuses qui ont fait deux trous dans mon pneu arrière tout neuf . Je passe ma première nuit de camping sauvage depuis un bon bout de temps. Je reprends tout doucement mes habitudes. Je monte ma tente, prends ma douche avec quelques centilitres d'eau et je cuisine des pâtes avec 4 tomates achetées quelques centimes d'euros. Un jeune berger menant son troupeau de quelques vaches m'aperçoit et me demande si j'ai un problème. Je lui réponds que tout va bien. Il s'en va tranquillement à la poursuite de ses animaux.
Le matin après avoir réparé mes crevaisons, je porte mon vélo jusqu'à la route. 500m d'échauffement avant de commencer ma journée de vélo. Je ne veux pas prendre le risque d'une nouvelle crevaison !

              Le trafic routier est assez chargé mais le "spectacle" est sympathique. Toutes les méthodes de transport sont utilisées jusqu'aux limites de charge. Les camions sont surchargés de gravats, métaux, réservoirs d'eau, vaches, ... Les motos sont utilisées pour empiler plusieurs sacs de farine ou de charbon de bois, ou transporter des chèvres, des cochons, ... Sur un vélo, s'entasse tout ce qu'on peut imaginer : régime de bananes, ananas, ... Et le dos des hommes et surtout des femmes est également mis à rude épreuve.
Les gens qui ont quelques moyens possèdent un vélo. Un peu plus riches : une moto. Encore plus riches : une voiture, ...
Mais beaucoup de personnes ne possèdent que leurs deux jambes et marchent. Des dizaines et des dizaines de kenyans marchent le long de la route ! C'est impressionnant.

            Le blanc en vélo avec tout son attirail est une "proie" de choix pour mendier .
"Money" est le mot que j'entends le plus dans la journée. Certains ont un vocabulaire un peu plus étoffé et sont capables de dire :
"give me money",
"give me that bike",
"give me sweet",
"give me your food",
"give me .......
C'est fatiguant.
Ça fait à peine quelques jours que je traverse le pays en vélo et je suis déjà usé par la façon dont les gens me parlent. Pour 99% d'entre eux je suis seulement fait de dollars. Ils pensent que l'argent tombe du ciel directement dans la poche des blancs comme par miracle ! Je ne sais vraiment pas qui leur a appris ça, mais c'est triste.
Je suis passé par des pays pauvres en Asie, en Amérique centrale, ... où les gens ne mendient pas ! Ils ont cette fierté que n'ont pas les jeunes Kenyans entre cinq et trente ans qui m'importunent pour de l'argent.  Les hommes sont là inactifs à traîner au bord de la route. A croire que le spectacle routier est passionnant. Par contre il est rare de voir des femmes, plantées au bord de la route sans rien faire. Elles dirigent le commerce et bien qu'elles restent assises à contempler la chaussée, elles ont au moins quelques choses à vendre.
Malgré l'étiquette "d'or en vélo", presque personne n'essaie de m'arnaquer quand je veux acheter de la nourriture. Pas besoin de négocier. J'ai droit au prix local.
Et ce n'est vraiment pas cher.
0.10€ un avocat, une banane ou une mangue, ...
0.05 ou 0.10€ les beignets ou chapatis,
0.30€ ugali avec sauce.
Je mange largement à ma faim pour 1€ par jour. Ce n'est pas de la grande cuisine mais ça nourrit.





            Les paysages changent à mesure que je me rapproche de l'Ouganda. Savane verte grâce aux récentes pluies, magnifique plantation de thé près de Kericho puis vient la jungle en s'approchant de la frontière. Mais pas d'animaux sauvages. La démographie galopante en Afrique a repoussé, pour ne pas dire anéanti la  faune (comme en Europe il y a quelques dizaines d'années). J'ai seulement vu quelques zèbres.

           Pour planter ma tente à l'abri des regards indiscrets, loin des hommes, ce n'est pas tous les jours facile.
Par deux fois, j'ai demandé la permission d'installer ma tente chez l'habitant.
La première : aucun emplacement éloigné des maisons, l'orage arrive au loin, je décide de demander l'hospitalité. Deux petites huttes se trouvent à 200m de la route. Je rentre dans la propriété tout en "criant" : Hello, Hello, ... Une jeune femme sort toute étonnée de voir un Mzungu (qui signifie l'homme blanc en Swahili la langue nationale). Elle accepte que je plante ma tente devant sa petite maisonnette. Elle parle seulement quelques mots d'anglais bien que ce soit la langue officielle. Elle me regarde monter ma tente sans rien dire. Elle n'est pas décidée à parler et ne répond pas à mes questions . J'abandonne la discussion. L'orage arrive, je me jette sous ma tente et je dors comme un bébé jusqu'au lendemain matin.
Au réveil, à l'ouverture du zip de ma tente, elle est là à me regarder sans rien dire ☹. Je range mes affaires puis au moment de partir elle me dit:
- "give me my price" !
- Désolé je n'ai rien.
- Ah, me répond-elle, surprise.
Puis elle m'invite à boire le thé.
Une casserole est en train de chauffer sur quelques braises . La hutte est légèrement enfumée, il n'y a pas de cheminée pour évacuer la fumée.
Elle me sert un thé au lait brûlant.
Le lait a encore le goût de la mamelle ! Il n'a pas été pasteurisé ni écrémé. Au Kenya, par défaut, le thé est bouilli avec du lait.
Je la remercie, lui offre pour le thé 200kes (2$, le prix touriste) et je m'en vais. Elle me dit au revoir, sans un sourire. Je n'ai jamais vu l'ombre d'un bonheur sur son visage. Elle fait partie des personnes tristes par nature.

          Ma deuxième nuit chez l'habitant est complètement différente. Rose m'accueille avec le sourire après lui avoir demandé si je pouvais planter ma tente dans son jardin. Tout en faisant frire des poissons (Tilapia) du lac Victoria nous discutons. Elle parle bien anglais. Elle avait l'habitude d'acheter des vêtements d'occasion en Uganda et de les revendre dans sa petite boutique. Mais il y a deux ans son mari décéde et son petit commerce fait faillite. Depuis elle travaille d'arrache-pied tous les jours de 7h à 21h. Le matin elle fait des chapatis et les vend au marché. Puis elle rentre pour travailler dans son champ. L'après-midi elle fait frire des poissons et retourne au marché les vendre. A pied car le matatu ( bus local ) à 30kes (0.3$) est un peu cher. Elle a également un mini-commerce ou elle vend un peu de lait, sucre, farine, ... Avec les gains, elle peut faire vivre sa famille. Malgré la difficulté, elle garde le sourire et elle est "heureuse". Elle travaille aussi dur pour "envoyer ses enfants à l'école et les dissuader de mendier", me dit-elle. Pendant que nous discutions, "tous" les enfants du quartier se sont regroupés autour de nous. Ils sont intrigués par le blanc qui ose s'arrêter dans un village. Et quand j'enlève ma casquette ils crient tous en chœur :
Liedo, Liedo !!! (qui veut dire rasé dans leur dialecte).
Après quelques dizaines de minutes de contemplation, ils repartent à leur occupation : jouer autour du Mzungu 
Au goûter, Rose m'offre des chapatis avec un thé, puis pour le dîner elle me cuisine du tilapia, des légumes et du riz. Je suis le seul à avoir du poisson car je suis un invité. Cet honneur me gêne et me touche vraiment. Nous discutons encore quelques minutes tout en regardant le petit écran de TV qui est perché dans un coin du salon. Puis je pars me coucher dans ma tente. Et toute la famille en fait de même. Pas de chambre privée pour les enfants. Rose vit avec ses trois enfants dans une maison en torchis composée de deux pièces : le salon et la chambre/cuisine.
Le lendemain matin après m'avoir offert le petit déj, elle refuse que je lui paie quoi que ce soit. Je la serre dans mes bras pour la remercier et lui dire au revoir, puis je reprends la route en vélo.

            Mes nuits en camping sauvage sont remplies de surprises. Près de Kericho, trois enfants "découvrent" mon campement. Après avoir étudié avec attention mon vélo ils partent puis reviennent 15 min plus tard avec un lapin vivant. Ils veulent me le vendre !
Un autre soir, un berger masaï aperçoit ma tente. Il s'approche, me salue d'un geste et sans un mot me contemple pendant plus d'une heure trente, jusqu'au coucher du soleil. Appuyé sur son bâton, il m'observe avec attention. Il ne parle pas un mot d'anglais et n'a pas trop envie de discuter. De temps en temps il sort son téléphone portable pour passer un appel. Le lendemain, au lever du jour, il revient et continue son observation du "vagabond blanc" ☺.

            Ma relation avec les locaux n'est pas toujours facile. Dès que quelqu'un m'approche je suis méfiant car la plupart du temps c'est pour me demander de l'argent, même si la personne fait semblant d'être intéressée par mon voyage. L'issue de la discussion est toujours la même: les curieux me "grattent" quelque chose : de la nourriture, un vêtement, ...
Dans la conversation une question revient souvent :
"Quelle est ta tribu? ".
Tous sont très étonnés que je n'en ai pas. Ici au Kenya, il y a  une quarantaine de tribus ou ethnies et autant de dialectes. La langue nationale est le Swahili qui sert à la communication entre les gens de tribus différentes. La langue officielle est l'anglais. C'est celle du parlement, des textes de lois, des chaînes de TV nationales, ... Bien que tout le monde ne la parlent correctement.

            Le Kenya est un pays d'Afrique plutôt riche par rapport à ses voisins. Je n'ai vu personne en situation de mourir de faim. A la périphérie des grandes villes beaucoup de pauvres vivant dans des baraquements ne font pas des festins tous les jours, mais ont de quoi se nourrir. Dans la plaine fertile du grand rift au climat équatorial d'altitude chaud et humide, la pluie et le soleil suffisent pour que tout pousse. Il suffit de jeter une graine avant la saison des pluies et d'attendre quelques temps pour en récolter les fruits.
La plupart des villages et des petites villes sont faits de constructions en torchis, en bois ou en béton. Ces petites maisons peu confortables pour nous européeens sont pourtant très bien adaptées au climat local. A mille cinq cent mètres d'altitude sous le soleil de l'équateur, le torchis régule la température, chaude en saison sèche et fraiche pendant la saison des pluies. Le toit est souvent couvert de tôle ondulée et les câbles électriques forment des toiles géantes au dessus des habitations comme dans tous les pays en voie de développement.

            Faites l'amour, pas la guerre. Les Kenyans ont compris le slogan. La démographie s'en ressent. Les enfants sont partout et les écoles primaires situées aux carrefours des routes sont pleines à craquer. Elles sont gratuites, encore faut-il pouvoir acheter l'uniforme obligatoire. Ce que toutes les familles ne peuvent pas se permettre.

            Il y a tellement à dire sur mes premiers jours de vélo au Kenya qu'il me faudrait mille pages pour les raconter.
Un petit florilège:
- Pour Pâques tout le monde était sur son trente et un. J'ai vu des dizaines de filles marcher sur le bord de la route en robe de soirée et talons hauts pour rejoindre l'église à l'occasion de la messe pascale. Pas super facile connaissant l'état des routes et des chemins !
- Beaucoup d'hommes sont en costume veste et pantalon.  La classe ! Bien que le costard ne soit pas tout neuf ! Et pourtant ils marchent le long de la route au lieu de prendre un transport (moto-taxi, bus, ...) bien trop cher pour eux.
- On peut payer avec son mobile dans tous les commerces. Le système le plus utilisé s'appelle Mpesa. Beaucoup de kenyans possèdent un téléphone portable alors qu'ils n'ont même pas l'électricité chez eux. Ils vont donc dans des "magasins" pour recharger leur téléphone portable. Il n'est pas rare de voir un homme pieds nus avec des vêtements bien usés ayant dans sa main un téléphone tout neuf !
 - Je bois l'eau du robinet, du puits ou de la pompe mais je prends toujours soin de la filtrer avant de la boire. Elle est souvent de couleur marron: durant la saison des pluies la qualité de l'eau est vraiment un problème.
 - Aller chercher de l'eau au puits dans les villages est une des missions quotidiennes indispensables. Il y a toujours la queue pour s'approvisionner. Très surpris de voir un blanc s'arrêter à leur point d'eau, ils me laissent la place car je n'ai que deux petites bouteilles à remplir, alors qu'ils ont chacun plusieurs grands bidons.

         Si je devais résumer mon parcours kenyan je dirais :
- Je suis une attraction et ce n'est pas quelque chose que j'apprécie. Surtout pas à cette échelle.
- Les kényans sont souriants et sympathiques mais la pression permanente autour de moi me fatigue !
- Malgré ce relationnel compliqué je suis content de découvrir l'Afrique en vélo. Et les belles rencontres sont nombreuses ☺.

Statistiques

Distance : 562  km
Nb jours : 5
Nb jours de vélo : 5
Nb jours de repos : 0
Etape la plus longue :  103 km
Etape la plus courte :  79 km
Crevaison : 2

Total depuis le début

Distance : 63104 km
Nb jours : 912
Nb jours de vélo : 618
Nb jours de repos : 294
Etape la plus longue : 257 km ( Australie, Nullarbor)
Etape la plus courte : 26 km
Plus haut col : 5130m, Abra Azuca, Pérou
Crevaison : 21
Rayon cassé roue arrière: 9 ( ancien vélo décathlon à 100€)
temp. max/min : 49°C ( Australie) / -15°C ( Utah, USA)

La Suite...