23/03/2020

Afrique du Sud: Le dernier cap

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Afrique du Sud: Le dernier cap
24 juin - 12 juillet 2018




          Après presque un an et demi de sommeil, je reprends ce blog pour terminer les deux dernières grandes étapes de mon périple. J'ai eu beaucoup de mal à me remettre à l'écriture. Sans l'insistance de mes proches je n'aurais probablement pas terminé ce récit avant longtemps.

          Le 24 juin 2018 nous traversons le fleuve Orange qui serpente au creux d'un plateau désertique et marque la frontière avec l'Afrique du Sud. Birgit retrouve son pays de naissance après avoir longtemps vécu en Angleterre.
J'ai mon billet d'avion pour l'Europe. Dans quinze jours, mon point de chute sera Athènes, avant de rejoindre la France avec un petit détour estival en Europe de l'Est.

          Passé la frontière nous nous rendons compte immédiatement que nous sommes dans le pays le plus riche du continent africain. Les infrastructures routières sont dans un excellent état. Les villes sont plus propres et les maisons mieux entretenues. Un autre élément qui me montre le niveau de vie des pays ou des régions que j'ai traversés est l'éclairage nocturne des villes. La différence entre le rayonnement nocturne de Las Vegas et la pénombre des petites cités du Middle-west américain est l'exact reflet du niveau de vie moyen des habitants. Il en est de même entre la Namibie et l'Afrique du sud.

        Nous sommes en hiver, la température diurne ne dépasse pas 20°C, les nuits sont fraîches. Le trafic routier est très faible sur ce plateau désertique à mille mètres d'altitude. Pendant trois jours nous roulons sur une bonne route bordée des deux cotés de barbelés. Les fermes sont partout ceinturées de clôtures. Les fermiers sudaf' ont le même comportement que les grands propriétaires terriens des haciendas de Patagonie argentine. Ils ont ceinturé leurs immenses propriétés de clôtures infranchissables pour marquer leur territoire, même s'ils ne possèdent pas de bétail ! Nous avons du mal à trouver un endroit un peu tranquille pour dormir. Les hautes clôtures avec quatre rangs de barbelés sont notre cauchemar. Nous cherchons toujours les plus faciles à franchir pour nous éviter de multiplier les portages après une journée sur la route pour installer le campement.

         La troisième étape sud-africaine est Springbok la plus grande ville du Namaqualand. Dans cette petite bourgade de 10000 habitants nous cherchons un camping pour nous laver et prendre une journée de repos après dix jours de bivouac. Peu avant d'arriver au camping, une femme en voiture nous interpelle. Elle nous propose une douche chaude. Sans hésiter nous la suivons. Une fois propres et prêts à repartir, Birgit demande si on peut planter la tente dans son jardin. Elle hésite un peu car elle doit partir le soir même pour Cape Town et ne revenir que 24h plus tard. Mais la générosité Sudaf ' revient vite. Elle accepte. Elle nous propose même de rester dormir à l'intérieur. La maison est à nous 😁 ! Quel accueil, quelle générosité ! Je ne suis maintenant qu'à moitié surpris de cette hospitalité. Grâce aux réseaux sociaux ou au hasard des rencontres, j'ai trouvé sur tous les continents des personnes géniales qui m'ont laissé leur maison, le frigo plein et m'ont fait une confiance totale. J'ai entendu plusieurs fois "ma maison est la tienne". Inimaginable dans notre société française où tout le monde craint tout le monde.
Le lendemain soir, nos hôtes rentrent et nous regardons un match de la Coupe du Monde de football.  Nous discutons. Il y a tant de chose à dire que la soirée se prolonge très très tard. Le moment le plus difficile quand on est si bien reçu, c'est le départ. Et pourtant le lendemain il faut bien les quitter. Remerciements, échange de compte Faceb..., embrassade, émotion ! La route continue.






         Un jeudi soir au bivouac, Birgit me parle d'un restaurant de plage qui cuisine le poisson du jour à même la plage. Le menu "poisson grillé" est à volonté. Après trois semaines de pâtes et de riz, c'est tentant. Le hic, c'est qu'il se trouve à plus de 200 km de là où nous sommes un peu au nord de Vanrhynsdorp. La route principale fait un détour par la ville de Clanwilliam qui nous éloigne de la côte. Difficile pour Birgit d'arriver à temps ! Pourtant en consultant la carte, je trouve une piste qui permet de raccourcir le parcours d'une cinquantaine de kilomètres. Birgit, qui connait ma façon de voyager, pressent que la piste sera trop ardue pour elle. Elle fera du "vélo stop" jusqu'au environ de Lambert's Bay. Nous nous séparons le vendredi matin, rendez-vous le samedi au restaurant. Ce jour-là, je pédale d'un bon rythme (180km) pour arriver l'après-midi au croisement de la piste. Le revêtement de terre rouge est en bon état. Je devrais arriver dans les temps.
Le samedi à 6h au réveil, j'entends les gouttes de pluie frapper sur ma toile de tente. Je sais que la matinée va être sport !
Je me dépêche de boire un café et de ranger mon barda. La piste s'est transformée en bourbier. La terre rouge est devenue si collante que je suis couvert de boue au bout de quelques kilomètres. La pluie est froide, mais l'effort que je dois fournir pour faire avancer mon vélo alourdi par une couche de boue me réchauffe. Une longue matinée, de 40km seulement mais épuisante.
A 11h, la récompense est en vue: le restaurant camping Muissbosskerm, une paillote en bord de plage où Birgit m'attends attablée devant un café. La plage est vide en hiver. Le ciel est gris et le vent très frais.
          La cuisine au feu de bois est au milieu des tables, protégée des embruns par une palissade de roseau. Comme les anglo-saxons, nous prenons place au milieu d'un groupe sur une immense table.
Je commence le festin par du poisson grillé, suivi de coquillages puis une sorte de paella avec toutes sortes de produits de la mer. Des beignets de poissons, une langouste, des frites, de la viande grillée: mon corps en redemande. Je n'avais pas fait un repas aussi copieux depuis le Kenya, il y a quatre mois. Je me goinfre plus que tous ceux qui sont à notre table. Tout l'après-midi, nous racontons nos voyages à des sud-africains en vacances et à des touristes de passage. Le temps passe trop vite, la nuit arrive, nous restons sur place. Le camping est fermé en cette saison, le propriétaire nous autorise à dormir dans les sanitaires "ladies". Une bonne nuit !

         Moins de trois cents kilomètres et nous serons au Cap. Le quotidien reprend vite le dessus: pour dormir au calme il faut parfois sauter des barbelés. Portages, montage de la tente, repas, la nuit tombe. Un coup d'oeil au ciel étoilé, il est l'heure de dormir.

A l'approche du Cap, la route du bord de mer est magnifique. J'adore ces routes côtières où l'on pédale avec la mer d'un côté et la falaise ou le désert de l'autre. Je me revois sur les mêmes routes en Australie, au Chili, au Pérou, au Costa-Rica et en Nouvelle-Zélande. Le bruit du ressac nous accompagne sur une bonne partie du parcours. Une sensation de bien-être m'envahit. Je concrétise un jour de plus le but de mon voyage: "Carpe diem" autrement dit "cueille le jour présent sans te soucier du lendemain".

          Le 4 juillet 2018 j'arrive à Kaapstad (Le Cap en afrikaans). Dans la banlieue de la ville, les rues et les routes sont presque désertes. Au contraire des pays africains voisins il n'y a personne qui marche au bord des routes. Les déplacements se font presque exclusivement en bus ou en taxi collectifs. Nous allons directement chez la mère de Birgit, une allemande qui vit depuis très longtemps en Afrique du Sud. Elle habite un bel appartement à Camp's Bay, un des beaux quartiers un peu en hauteur avec vue sur la mer au sud de la ville. Ce sera mon hébergement pour ma dernière semaine africaine. Ses parents sont divorcés, son père vit dans l'est du pays.

          La ville est déployée entre les montagnes à l'est, la mer à l'ouest et la baie au sud terminée par la péninsule du cap de Bonne Espérance. Ce n'est pas le point le plus au sud de l'Afrique, mais celui qui fut remarqué et nommé le premier par les explorateurs. Le paysage est agréable quelque soit la direction où on regarde.
Sur le port du Cap je fais une photo  avec vue sur la montagne de la Table qui domine le Cap en faisant le signe trois avec mes doigts pour marquer le troisième anniversaire de mon départ. J'étais parti pour une année, au plus une année et demi. Quelques semaines, quelques mois de plus, je continue sans regret sachant que je n'aurais probablement pas l'occasion ou la possibilité de faire un autre voyage dans ma vie future. Tellement occupé à rouler pour découvrir la planète, que ces trois années ont défilé à une vitesse vertigineuse.

         Les grandes villes sud-africaines sont réputées violentes et dangereuses.  Pour ma part au Cap comme à Marseille, je n'ai pas ressenti de sentiment d'insécurité. Il ne faut probablement pas se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Ville violente ? Ce n'est sûrement pas une réalité, mais sans doute une mauvaise réputation véhiculée par les médias. Les locaux que j'ai pu rencontrer sont de cet avis.

         Deux jours plus tard, Nous repartons à vélo pour le Cap de Bonne Espérance. Les plages de la baie False sont envahies par des colonies de manchots du Cap. L'espèce et la zone sont protégées. Ces animaux aussi à l'aise dans l'eau que maladroit sur la terre ferme sont très curieux. Ils n'hésitent pas à s'approcher de moi, si je m'installe  pour les observer sur un rocher proche de leur lieu de passage. L'entrée du Parc National de la péninsule du Cap est payante ! C'est contraire à mes principes de voyages. Quelques dollars, que je ne veux pas payer juste pour faire une photo. Mais Birgit insiste et m'offre l'entrée. Une belle photo souvenir tout de même suivie d'une bonne heure de contemplation de la mer à la rencontre des océans Atlantique et Indien. Après le cap Leeuwen en Australie et Ushuaia en Argentine, je viens d'atteindre mon dernier cap. Dans mon projet de voyage initial je devais terminer la route en Alaska. Il y a six mois, changement total de cap, direction le sud de l'Afrique. Aucun regret, une autre partie du monde, une autre expérience probablement aussi enrichissante.
     
        En cette période de coupe du monde, nous retrouvons des passionnés de football qui se réunissent au bar du club de rugby local pour passer la soirée. Autour du barbecue et de quelques bières chaque nationalité défend l'équipe de son pays natal. En demi-finale les français passent et les britishs chutent. Je prends ma revanche sur les nombreux anglais ou supporters de l'équipe britannique présents, qui m'ont largement battu au nombre de bières éclusées. J'offre ma tournée après la qualification de la France pour la finale et mon prochain départ.

          La ville du Cap est entourée par Table Mountain, une colline avec un sommet tout plat que l'on peut rejoindre en téléphérique depuis la ville. Il existe aussi un sentier balisé d'accès facile qui serpente jusqu'au pied de la gare supérieure. Le must c'est de monter par la "via ferrata" et d'escalader la falaise.
Birgit voulait absolument faire cette grimpette. Je me suis volontiers proposé de crapahuter sur ce sentier escarpé, où il vaut mieux être deux pour franchir les passages difficiles. Après une longue approche et deux bonnes heures d'escalade sur des parois verticales nous sommes enfin en haut. En chemin nous n'avons rencontré aucun  visiteur. La randonnée comme je l'aime ! Sans la foule, ponctuée par un magnifique paysage à l'arrivée. Depuis une avancée rocheuse nous dominons la baie du Cap. La lumière du soleil couchant étale des ombres au pied de Lion's Head dont la silhouette féline coupe la ville en deux. Au fond, la mer recouverte de nuage découvre juste une partie de Camp's Bay. Au fur et à mesure que j'avance, la beauté de la nature me surprend à chaque fois par de nouvelles merveilles différentes des précédentes. Impossible de les classer, d'établir un palmarès !
Je préfère rattacher l'image de chaque lieu à ce que j'ai vécu pour y arriver ou aux personnes que j'ai pu côtoyer dans la région.



          Mon vélo à souffert sur les pistes africaines. Je consacre une demi-journée de mécanique pour vérifier toutes les pièces tournantes, nettoyer la chaine et remplacer les patins de freins. A la fin, je jette un coup d'œil d'ensemble: mon beau vélo au cadre rouge est couvert  de chatterton noir ! J'ai collé les premiers morceaux en Asie et en Australie sur les pistes cahoteuses du nord-ouest, puis j'en ai ajouté au fur et à mesure pour préserver le cadre des marques d'usure de tout ce qui frotte comme les gaines et les sacoches. La robustesse, la simplicité et le confort, c'est ce qui m'avait séduit dans cette rustique fabrication anglaise à partir de composants basiques qu'on peut trouver partout dans le monde ou réparer facilement. Je m'en félicite tous les jours après autant de kilomètres au compteur.

          Je préfère pédaler en solo, pour avoir une liberté totale, autant dans le choix du parcours que dans le rythme de roulage. J'ai appris pendant ces deux mois avec Birgit, qu'on pouvait moyennant une dose de compromis faire un beau parcours sans limiter sa liberté de déplacement ou la performance sportive.

          Le 13 juillet 2018, j'emballe mon vélo dans un carton pour mon dernier vol vers l'Europe. Birgit m'accompagne jusqu'à l'aéroport. Je redoutais ce moment où il faudrait se quitter après deux mois d'agréable cohabitation. Dans ces moments là, je suis peu bavard. Je me souviens des départs du dimanche soir quand j'étais étudiant à Paris. Pas un mot échangé avec mes parents pendant le trajet entre la maison et la gare d'Aix en Provence. Comme aujourd'hui, rien de plus à dire que quelques banalités, je me projette déjà dans la suite de mon aventure. J'ai la gorge serrée, je ne veux pas parler.
Intense émotion !

          Le chapitre se termine dans la plus européenne des villes africaines: Le Cap. Un avant goût de l'Europe avant d'y poser le pied après trois ans sur tous les continents.

Statistiques

Distance : 990 km
Nb jours :21
Nb jours de vélo : 9
Nb jours de repos : 12
Etape la plus longue : 180 km
Etape la plus courte : 35 km
Crevaison : 0


Total depuis le début

Distance : 71150 km
Nb jours : 1014
Nb jours de vélo : 693
Nb jours de repos : 321
Etape la plus longue : 257 km ( Australie, Nullarbor)
Etape la plus courte : 26 km
Plus haut col : 5130m, Abra Azuca, Pérou
Crevaison : 24
Rayon cassé roue arrière: 9 ( ancien vélo décathlon à 100€)
temp. max/min : 49°C ( Australie) / -15°C ( Utah, USA)

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