18/03/2016

Indonésie : "Hello Mister" à Sumatra

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Dumai - Bakauheni  18 mars 2016 - 06 avril 2016

Traversée Est-Ouest

J'arrive au port de Dumai depuis Port Klang en Malaisie. Alors qu'en Malaisie tout était à peu près organisé, en Indonésie c'est l'opposé. Le quai est 2 mètres en dessous du niveau ou sont stockés les bagages. Les valises et autres effets personnels des passagers glissent sur une vulgaire planche en bois pour atteindre le quai. Tout le monde crie, c'est un brouhaha géant. Certains en viennent presque aux mains. Le déchargement de mon vélo est compliqué. Pas moins de 6 personnes pour le faire descendre sur le quai !
Après le passage obligé par l'immigration, me voilà en Indonésie avec un visa d'un mois payé 35 USD. Il me faudra étendre mon visa afin de pouvoir rester 60 jours dont 15 avec mon frère.

Je passe ma première nuit à Dumai chez un professeur d'anglais rencontré par l'intermédiaire d'un rabatteur présent sur le quai. En échange d'une nuit gratuite, je dois assister à ses cours d'anglais et échanger avec ses élèves. Une bonne entrée en matière afin de rencontrer les autochtones.
Le premier cours entièrement féminin est vraiment agréable. L'ambiance est détendue comme en atteste la photo.
Après ces discussions en anglais, je me souviens du calvaire enduré en cours d'anglais au lycée. J'imagine quelle serait la surprise de mon prof, s'il me voyait, lui qui avait mis sur mon bulletin scolaire de première: " à atteint son maximum" avec une note trimestrielle de 8 !
Après le deuxième cours à 21h, un des élèves m'invite à manger un bakso : des boulettes de viande accompagnées de nouilles et de légumes. Un repas fait de mets industriels: boulettes sans vraiment de goût et nouilles instantanées. Je suis un peu déçu. Heureusement le jus d'avocat est excellent.

Le lendemain je pars en direction de Padang afin de rejoindre le sud-est de l’ile par la côte ouest réputée splendide. Non sans appréhension car je sais que le trafic est à flux tendu sur les routes indonésiennes et que la plupart des gens vivent le long de la route. Ce qui m'inquiète pour trouver un endroit tranquille pour dormir. Ajouter à cela la saison des pluies avec des averses quotidiennes. Ma traversée de Sumatra ne semble pas simple.

Mes premiers kilomètres le confirment. Dans cette région où les palmiers à huile dominent le paysage, la route jusqu'à Pekanbaru n'est pas spectaculaire. De toute façon je n'ai pas le temps de regarder le paysage. Je tâche de survivre à ce flot continu de camions surchargés de fruits du palmier à huile. Les poids lourds remplis à ras-bord roulent comme des aliénés sans se soucier du petit cycliste que je suis. La main sur le klaxon ils me doublent en passant à 5 centimètres de mon guidon et quand ils laissent un espace suffisant, les scooters ne manquent pas de l'utiliser pour me doubler en même temps.
Je retrouve également les spectateurs routiers que je n'avais plus vu depuis le Cambodge. J'entends par ce terme, tous les commerçants ou badauds qui peuplent le bord de la route. Certains possèdent une petite bicoque quand d'autres n'ont qu'une planche en bois posée sur deux cailloux. Ils vendent quelques fruits ou légumes, des petits plats à base de riz, de l'essence conditionnée dans des bouteilles de coca, ... Ils passent la majorité de leur journée à regarder le ballet des voitures. Et ils ne manquent jamais l'occasion de me saluer d'un "hello mister" ou" hey mister". Rien que la première matinée j'ai dû en entendre plus d'une centaine. Certains essaient de me faire la conversation: "where do you go ?", " how are you ", ... Et je vous passe les phrases de ceux qui n'ont pas écouté en cours d'anglais : " what do you going ?", "how you", ...
Aux premières salutations de la journée je fais l'effort de répondre mais après plusieurs heures je suis saturé. Car malgré leur sourire et leur ton bon enfant, ils crient toujours comme des timbrés.
Route, scooter surchargé, fleuve de jungle
Après 100 km le premier jour, je suis content d'être toujours en vie. J'ai failli mourir mille fois sur ces routes étroites et remplies de nids de poules.
A midi, la pluie fait son apparition, je m'abrite à coté d'un restaurant en espérant que ça ne dure pas longtemps. Une petite dizaine d'enfants arrivent tout sourire, ils me parlent, me touchent et sortent aussi un dictionnaire, indonésien->anglais pour essayer de discuter avec moi. On se marre bien ! Après une heure, la pluie continue de tomber. Je pars manger au restaurant. Les propriétaires sont tout étonnés de voir un blanc ici. Je mange un mie goreng ( nouilles frites avec un œuf ) et la pluie ne cesse pas. Spontanément, à 14h, ils m'invitent à dormir. Le restaurant et leur maison ne font qu'un. J'accepte sans hésitation ! Je passe mon après midi à rigoler avec les enfants.
Le soir une bonne quinzaine de personnes viennent voir l'attraction. Une jeune fille me demandera même mon T-shirt pour avoir un souvenir ! Impossible d’accéder à sa demande car je ne possède que deux T-shirt: un pour la journée de route et un "propre" pour le soir.
Ce ne fut pas une soirée reposante mais le sourire et la générosité de ces habitants me réconcilie avec l’Indonésie

Au deuxième jour vers Pekanbaru, je quitte la route principale qui part en direction du sud de Sumatra, pour prendre la direction de Padang. Le trafic diminue un peu mais c'est toujours aussi dangereux. Les paysages changent puisque les champs de palmiers font place à la jungle et aux volcans. La route devient vallonnée et je fait la connaissance de mes premières montées indonésiennes. Pas de virage, pleine pente, jusqu'à 16 % sur plusieurs centaines de mètres, une chaleur de plus de 40°C au soleil et jusqu'à 90% d'humidité : éreintant !

Jungle, rizières et barbecue à la mosquée
Aux alentours de Bukittinggi, la route passe au milieu de deux volcans, le Singgalang et le Marapi. Ce dernier est connu pour être le volcan le plus actif de Sumatra. D'ailleurs son nom signifie la montagne de feu. Ces deux volcans culminent à plus de 2800 mètres d'altitude. Malheureusement ce jour là le temps est très nuageux. La vue sur les volcans est décevante. Je n'ai même pas pris de photo.

Comme attendu, trouver un endroit calme pour dormir relève du miracle. Il y a du monde partout. Pas un centimètre sans âme qui vive. Quand personne ne m'invite et que je ne trouve pas une cabane à l'abri des regards, la dernière solution est la mosquée. Avec plus de 200 millions de musulmans, l’Indonésie est le premier pays musulman du monde et les mosquées ne manquent pas.
Le troisième soir, je m'arrête dans une mosquée d'un petit village. Je discute avec quelques personnes qui parlent un peu anglais. On m'offre le café. Je joue au badminton, le sport national, avec le fils de l'imam. A la nuit tombée, après une bonne douche, la maman d'une jeune fille me prépare un diner délicieux : frites, riz, poulet, légumes, banane. Meilleur qu'au restaurant. La générosité de ces gens est presque gênante.
Le ventre plein, des amis du fils de l'imam arrivent. Ils parlent un bon anglais. On discute de tout et de rien. De la vie en France, en Indonésie, ... Professeur de plongée, il vivait confortablement jusqu'au jour ou il a dû tout arrêter pour un problème aux oreilles. Pas de sécurité sociale, aucune aide. Il a dû se débrouiller tout seul pour continuer à faire vivre sa famille. Il est maintenant paysan et survit difficilement avec quelques euros par jour. Dans ces moments là, on est gêné de profiter de la vie quand d'autres peinent à survivre.
On n'a pas fait que pleurer, j'ai joué un peu de guitare et surtout on a bien rigolé. A 1h du matin, on improvise un barbecue avec les poissons qu'ils avaient pêchés le matin même. La soirée s'est terminée à 3h ! Ma première nuit dans l’hémisphère sud restera inoubliable.

Après 5 jours de traversée est-ouest j'arrive à Padang, capitale de la région de West Sumatra, ville étudiante située au bord de la mer. Je rejoins Afif un jeune indonésien contacté via le réseau warmshower. Le soir même on part manger avec ses amis: nasi goreng ( riz frit ), saté ayam ( brochette de poulet sauce cacahuète) , ... Un régal. Un jour de repos et je repars direction Bakauheni en compagnie de Dennis. Un jeune allemand de 25 ans, parti en juin 2015 de Frankfurt. Il a traversé l'Europe, la Turquie, l'Iran, Oman, l'Inde et l'Asie du sud-est. Comme moi il se dirige vers l'Australie.

Dennis et Afif, enfants indonésiens le jour de mes 31 ans, plage sur West Sumatra

Entre mer et volcans

La route qui longe le littoral est magnifique. Coincée entre une chaine de montagne volcanique et la mer. On en prend plein les yeux. Les plus beaux paysages qui j'ai vu depuis le début de mon voyage. Rizières d'un vert magique, plages désertes, mer couleur lagon, volcans recouvert par la jungle. Ouah, sublime !
Les "hello mister" criés à se faire exploser les cordes vocales sont de plus en plus fréquents. Comme un coureur du tour de France. Certains nous gratifient juste d'un "hey", "oh", " how", ... Nous voyant au dernier moment, ils se sentent obligés de dire quelques choses mais c'est trop tard pour crier "hello" alors ils nous jettent ces mots monosyllabiques. C'est un réflexe !
Quand on s'arrête boire ou manger,impossible d'être tranquille. Entre les enfants qui arrivent par dizaines et les adultes qui nous regardent tel des extra-terrestres, on a rarement la joie d'avoir des pauses au calme. Le trafic routier est toujours aussi chargé, le silence n'existe pas.
Je n'ai jamais autant été pris en photo. Partout où on s'arrête les gens veulent nous prendre en photo. On devient les rois du selfie. Sur la route, des voitures nous demandent de nous arrêter pour faire des selfies. On accepte de temps en temps, mais on ne peut pas s'arrêter toutes les 5 minutes. Seulement pour les jolies filles ☺
Quand on passe à l'heure de la sortie des écoles, c'est l'hystérie collective, les "hello mister" fusent. Des jeunes filles nous crient : "I love you", " I kiss you", ... Avec Dennis ça nous fait bien rire.
On entend aussi le mot "bule", prononcé boulet. Ce mot désigne l'étranger blanc. Quand des enfants nous aperçoivent, ils crient se mot pour prévenir les copains aux alentours de notre arrivée.

Le soir, soit on dort dans une mosquée, soit on nous invite spontanément à dormir. La générosité des indonésiens est immense. Sur six nuits, avec Dennis on a été invité trois fois. Certains parlent quelques mots d'autres pas, mais cela ne nous empêche pas de discuter. On parle avec les mains.
Les personnes parlant anglais nous posent souvent les mêmes questions : "Est-tu marié", "quelle est ta religion", "pourquoi tu n'achètes pas une moto", "Pourquoi tu ne dors pas à l’hôtel" ... Ils ne comprennent pas pourquoi un homme de 31 ans n'est pas marié. Pourquoi un blanc se balade à vélo alors qu' il a assez d'argent pour s'acheter une moto. Leur répondre que je n'ai pas de religion particulière est quelque chose qui les dépasse. Toute personne doit avoir une religion: donc je suis chrétien !
Certains me demandent même si je n'est pas peur des fantômes quand je dors dans la forêt.

Après six jours avec Dennis, entre paysages somptueux, routes dangereuses, hospitalité indonésienne et mes 31 ans fêté dans une mosquée avec deux cupcakes et une dizaine d'enfants, nous nous quittons. Il a oublié sa batterie chez une famille et il doit la récupérer. Avec mon frère qui arrive dans dix jours à Jakarta et mon renouvellement de visa. Je ne peux pas me permettre de perdre une journée. Dommage sa compagnie et son rythmne de pédalage était parfait.

Plage de Sumatra, mes hôtes d'un soir
Je repars seul à l’assaut des routes indonésiennes. C'est toujours aussi splendide et dangereux. Des glissements de terrain emportent la moitié de la route mais tant qu'il reste au moins une voie, la "DDE" indonésienne n'intervient pas.
La chaleur est vraiment torride, 45°C à mon thermomètre en pleine après midi. C'est particulièrement difficile quand je me heurte à des montées à plus de 15%. Je bois entre six et neuf litres par jour. Et je ne pisse jamais la journée, seulement le soir. C'est dire si je transpire !
Pour remplir mes bouteilles, je m'arrête le plus souvent dans les mosquées. L'eau de pluie recueillie dans de petites citernes fait l'affaire. L'eau potable sortant du robinet n'existe pas. Et l'eau en bouteille est bien trop chère quand on boit presque dix litres par jour.

A Bengkunat je quitte la route en bord de mer pour rejoindre Bandar Lampung. Fini plage et cocotier, je traverse la fin de la chaine de montagne que j'ai suivi durant 10 jours. La route serpente dans la jungle. Quand le trafic est un peu moins dense j'entends le brouhaha que la jungle émet. Insectes, oiseaux, singes, tout le monde s'y met pour faire un boucan d'enfer !

La fin de mon parcours sur Sumatra n'est pas génial. Je rejoins la route principale et atteint le port de Bakauheni le 4 mars à midi. Pour 23000 rupiah ( 1.50€ ) j'embarque dans un cargo direction Merak situé sur l'île de Java.
Ma traversé de Sumatra a été une belle surprise. Malgré les dangers de la route j'ai pris beaucoup de plaisir. J'ai rencontré des indonésiens formidables, j'ai vu les plus beaux paysages d'Asie. En dépit d'une météo éreintante, 45°C, 60 à 90% d'humidité, une pluie quotidienne, cette île est superbe.

Île de Java

Avec 60% de la population vivant sur Java, soit 136 millions d'habitants. Cette île est la plus peuplé du monde, 1064 habitant/km², 10 fois plus que la France ☹
Le trafic est indescriptible. Pire que tout ce que j'ai vu depuis la Chine. Camions, voitures, scooters, la route jusqu'à Jakarta est un gigantesque bouchon de 150km. Ça klaxonne, ça double n'importe comment : l'anarchie.
Je survis à ce chaos et après un jour et demi de vélo j'arrive à Jakarta chez mon pote "la Meule".
Je profite de la semaine avant que mon frère n'arrive pour renouveler mon visa.
Quelle affaire ! Trois visites au bureau de l'immigration et cinq jours pour étendre mon visa de 30 jours supplémentaires.
Première visite, lundi : je remplis deux formulaires et je donne les papiers nécessaires : photocopie du passeport, ...
Deuxième visite jeudi : paiement de 355000 rupiah ( 24€), plus photo.
Troisième visite vendredi : je récupère mon passeport avec l'extension de mon visa.
La simplicité dans tout son art !

La bouffe

Je ne peux pas faire un article sans parler de nourriture. Car au final, le voyage en vélo se résume à rouler, manger et dormir !
Les plats indonésiens ne sont pas les meilleurs d'Asie. Les nouilles que j'ai mangées au restaurant, étaient toujours des nouilles instantanées. Pas terrible, mais frit avec quelques piments, ça se mange quand même.
La plupart du temps, matin et soir je mangeais du nasi goreng (riz frit) ou du nasi ayam goreng (riz blanc avec une cuisse de poulet frite). Ce n'est pas du trois étoiles mais ça nourrit bien.
Le longtong (cake de riz) avec soupe au lait de coco et quelques légumes, c'est vraiment bon. C'est le petit déjeuner des étudiants.
Pas de porc, pays musulman oblige. Les viandes les plus communes sont le poulet et la chèvre. Bœuf et mouton sont plus rare et beaucoup plus cher.
Les brochettes de poulets (sate ayam) avec leur sauce cacahuète sont excellentes.
Le prix de la nourriture est correct. Entre 10000 et 15000 rupiah (1€) le plat de nouille ou de riz dans les petits restaurants de bord de route.
J'ai également mangé beaucoup de petites fritures (gorengan): banane, légume, riz, ... À 1000 rupiah (0.06€) il ne faut pas s'en priver.
J'ai également goûté toutes sortes de cake de riz, du vert, au rouge en passant par le rose. Les colorants artificiels sont bien connus, même dans les marchés du bout du monde. Le riz cuit dans la feuille de bananier est excellent.
Les glaces ne sont vraiment pas chère et plutôt de bonne qualité. 5000 rupiah (0.30€) le "magnum indonésien". Avec Dennis on ne s'est pas privé, je n'ai jamais autant mangé de glace !

Je n'ai pourtant pas explosé mon budget puisqu’avec 3 à 5 € par jour j'assouvissais tous les désirs de mon estomac.

Au milieu selfie le jour de mes 31 ans

Statistiques

Distance :  1937 km
Nb jours : 18
Nb jours de vélo : 17
Nb jours de repos : 1
Etape la plus longue : 176 km
Etape la plus courte :  78 km

Total depuis le début
Distance :  12158 km
Nb jours : 159
Nb jours de vélo : 102
Nb jours de repos : 57
Etape la plus longue : 208 km ( 10h de selle, Chine)
Etape la plus courte : 43 km
Plus haut col : 3045 m (Yunnan, Chine)
Crevaison : 4
Rayon cassé roue arrière: 9 ( ancien vélo décathlon à 100€)

1 commentaire :

  1. Ben mon gars... chapeau bas. T'es un aventurier de haut niveau désormais. Prends soin de toi! Bises

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