01/04/2017

Argentine : 32 ans dans les champs

Leave a Comment

Santiago du Chili - Mendoza - Buenos Aires ; 06/02/2017 - 09/03/2017 .
Les vacances relax : hotels et restaurants, avec mes parents sont finies. Je me remets en selle direction Buenos Aires. A part le col Los Libertadores qui sépare le Chili de l'Argentine je sais que les paysages risquent d'être monotones : de grandes lignes droites à travers champs. Mais j'ai envie de faire un petit tour par l'Uruguay et le Paraguay avant de revenir attaquer les grands cols des Andes (Agua Negra, San Fransisco,...). Un détour de quelques milliers de kilomètres.

La reprise après 15 jours sans vélo est difficile. Il fait 35°C, il y a beaucoup de trafic et pas grand chose à voir. Mes jambes ont du mal à pousser fort sur les pédales. De Santiago du Chili jusqu'à Los Andes il n'y a qu'une autoroute. Elle est interdite aux vélos, mais je n'ai pas le choix. Je l'emprunte. Je sais qu'au Chili les interdictions sont "relatives". Certaines fois je me demande même pourquoi il y a des panneaux d'interdictions. Personne ne les respecte ! Plusieurs voitures de police me doublent et ne m'arrêtent pas. Je roule "sereinement" en vélo sur l'autoroute !  Jusqu'à l'entrée d'un tunnel où je me fais arrêter par un responsable de la sécurité des routes. Il me dit qu'il est interdit de passer en vélo à travers le tunnel. C'est trop dangereux. J'embarque mon vélo dans une camionnette et je traverse le tunnel dans la fraicheur de l'habitacle climatisé. Le conducteur n'est pas trop bavard. Je vois bien que ça ne le réjouit pas du tout de me conduire de l'autre coté. J'ai dû le déranger pendant sa pause café
Après 110km le premier jour, je m'arrête près d'une rivière. Une douche rapide et je m'endors comme un bébé malgré le bruit des camions.
Je suis à 1100 mètres d'altitude, le col est à 3832 mètres. Une deuxième journée difficile s'annonce ! Je monte, monte et monte encore. Pas des pentes à 20%, mais une ascension continue avec très peu de moment de récupération. Et les 29 derniers virages avant d'arriver à 3200 mètres d'altitude finissent de m'achever. Tous les véhicules à quatre roues empruntent le tunnel pour passer de l'autre coté des Andes. Moi, je prends l'ancienne piste qui monte jusqu'au Christ Redemptor: 65 virages, 8km et 600 mètres de dénivelé positif. Dur ! Je ne sais pas si c'est l'altitude ou la coupure mais je souffre. Tous les deux virages je fais une pause Le vent n'arrange rien. Il souffle fort et m'oblige à enfiler mon coupe vent. Arrivé en haut, je m'arrête dans une petite boutique de souvenirs. Le gérant m'offre un verre de liqueur bien forte et un chocolat chaud ! Je suis accueilli chaleureusement Après 57 km et 2700 mètres de dénivelé positif ça fait du bien.  La statue en bronze du Christ Redemptor trône sur son piédestal blanc en haut  du col  à 3832 mètres d'altitude. Elle a été inaugurée en 1904 et symbolise la paix entre les deux pays. Le paysage est spectaculaire au milieu de ces grands pics à plus de 6000 mètres, dont l'Aconcagua, le plus haut sommet des Andes, qui culmine à 6961 mètres.
Tout le long des 57 km de montée ce n'était pas le silence absolu. Je ne compte plus les camions qui m'ont doublé et les bus qui m'ont fait respirer leur pot d'échappement. Il y a beaucoup de trafic sur cette route, la principale entre Santiago du Chili, Mendoza et Buenos Aires. Rares sont les véhicules qui respectent les limitations de vitesse. Et les pires sont les chauffeurs de bus. D'ailleurs quelques jours après mon passage, il y a eu un accident de bus. Résultat : 21 morts !

La descente est extraordinaire, j'enchaine les kilomètres sans forcer. Je double même les camions. Je file à plus de 60km/h ! Même si du coté argentin la pente est plus douce.
Au détour d'un virage je rencontre trois cyclistes. Un couple d'uruguayen et Gürkan Genç, un turc parti depuis 2012. Son parcours est impressionant : 58000 km, 43 pays et il est loin d'avoir terminé son aventure. Bonne route et garde ton sourire !
Les kilomètres se suivent et les rencontres aussi. Juste avant Mendoza je rencontre un argentin de 69 ans, qui est chargé comme une mule: 75kg tout compris !
Arrivé à Lukan de Cuyo sous la pluie, un homme me siffle, je me retourne et j'aperçois un cycliste brésilien: Claudio, un grand dingue. Je passe la journée avec lui: il court partout, parle à tout le monde et boit beaucoup de bière ! Impossible à suivre. Le soir on se fait inviter par Gabriel, un local pour un barbecue en compagnie de sa famille. Mon retour en Argentine commence bien !
A Mendoza je quitte les Andes, la montagne pour la plaine, les champs et je prends la ruta 7 qui traverse le pays d'ouest en est, de Mendoza à Buenos Aires. Les alentours de Mendoza sont couverts de vignes. La région  produit deux tiers des vins du pays, principalement de cépage Malbec. Et je peux dire qu'il est vraiment délicieux. Avec mes amis argentins en Patagonie nous en avons bu quelques litres  pour accompagner la viande rouge.

Mon premier jour après avoir quitté Mendoza, je plante ma tente dans un champ. Je n'ai rien trouvé de mieux. A 22h, une lumière puissante me réveille. Deux policiers en uniformes !!!
- Bonjour, ca va ?
Je leur réponds: Oui, très bien
-Que faites-vous ici ?
- Je dors !
- Un habitant nous a appelés. Quel est votre nom ?
Je leur donne mon passeport.
Les policiers le feuillettent, regardent tous mes visas et se marrent.
- Tu fais un tour du monde en vélo ?
- Oui
- Tu as Facebook ?
- Oui - et je leur donne mon pseudo
- Merci, on te laisse dormir. Bon courage et prudence
- Ciao
Deux policiers qui ne savaient pas quoi faire de la nuit et qui se sont bien amusés. J'ai agrémenté leur nuit ennuyeuse !
La nuit suivante, rebelote. Je plante ma tente à 100 mètres de la ruta 7 au bord d'une ancienne route abandonnée.
A 1 heure du matin, une voiture plein phare s'arrête à coté de moi. Encore la police.
Même discours. Mais à la fin de l'échange, il y a un silence puis un policier me dit : "Fais attention c'est dangereux par ici, il y a des pumas".
Je manque d'éclater de rire. Je me retiens.
Dans ma tête je me dis : "tu me réveilles à une heure du matin pour me dire qu'il y a des pumas" ! Putain! que ton métier doit vraiment être emmerdant.
Voyant mon sourire il ajoute: "mais t'inquiète pas, dans ta tente tu es protégé".
Fier de sa blague, il s'en va en riant. Et je finis ma nuit au calme.

Jusqu'à San Luis je suis la ruta 7. Une autoroute de 2x2 voies. Beaucoup de trafic et des champs de maïs à perte de vue, mais il y a une grande bande d'arrêt d'urgence me permettant d'être presque en sécurité. Puis je prends des routes de campagne et des pistes. Je préfère être plus lent mais au calme.


Manu chao chante : "La vida es una tómbola".
Et le 14 février je tire le bon numéro.
Au petit matin, je discute avec le gérant d'un supermarché super sympa.
Quelques heures plus tard, un homme et sa fille m'interpellent. Je passe une heure à discuter autour d'un maté. Puis à midi, je m'arrête dans un arrêt de bus pour casser la croûte. Un jeune vient à ma rencontre et m'invite pour le déjeuner.

Puis en fin d'après midi, je me dirige vers Adelia Maria une petite ville situé au centre de l'Argentine.
Pourquoi en particulier cette ville inconnue au milieu de l'Argentine?
C'est un peu compliqué à expliquer: en fait mon arrière grand-père, piémontais d'origine a émigré en France vers 1920. Ses frères l'ont suivi dont un marié aussi à une piémontaise, laquelle avait un demi-frère qui a émigré en Argentine  à la même époque. Paola quatrième génération "argentine" de cet émigré piémontais, a renoué contact avec Thérèse une cousine de ma grand-mère il y a une quinzaine d'années, après avoir retrouvé des documents sur ses ancêtres.
C'est Thérèse qui m'a donné l'adresse et qui les avait avertis par courrier de ma venue il y a plusieurs mois.   Je suis accueilli comme un prince par la famille Carletti, qui attendait mon arrivée depuis des mois. Je pensais rester deux à trois jours mais finalement ce sera beaucoup plus.
Le lendemain de mon arrivée la famille part en "vacances", à Merlo, un ville touristique à 200 km au nord d'Adelia Maria et m'emmène avec eux.
La vie en Argentine n'est pas facile. Les salaires sont certes corrects, mais le coût de la vie est élevé, notamment les produits importés qui sont fortement taxés, depuis la faillite du pays dans les années 2000. Les argentins de la campagne se contentent d'un confort modeste, mais semblent vivre paisiblement, en profitant de la vie sans trop se plaindre.
Paola organise mon passage à la radio puis à la télé locale (photo et vidéo sur mon facebook). En espagnol, c'est loin d'être facile. J'ai le trac, mais l'animateur fait de gros efforts pour que je puisse comprendre ses questions. Malgré quelques blancs, je ne m'en tire pas trop mal.
Je profite de l'occasion pour mettre en contact ma grand-mère et mes parents avec les Carletti. Par Skype nous discutons plus d'une heure en espagnol, italien ou français en échangeant des photos sur les ancêtres piémontais.
La famille Carletti me retient encore quelques jours pour que je fête mes 32 ans en leur compagnie. Les parents de Paola organisent une fête qui réunit toute la famille et me remettent un cadeau. Je souffle les bougies avec Lucia la fille de Paola qui a trois ans et demi. Je suis très ému, touché par la gentillesse de ces gens dont j'ignorais l'existence il y a quelques jours encore. J'ai l'impression de faire partie de leur famille depuis longtemps. Une sorte de lien qui nous unit probablement à cause de notre origine commune et lointaine à la fois.
C'est mon deuxième anniversaire sur la route. Il y a un an j'étais en Indonésie dans une mosquée. Après quinze jours, je les quitte le cœur gros. Mais je sais que je reviendrai !
Un INCOMMENSURABLE MERCI à cette adorable famille et comme chante Sinsemilia : "je vous souhaite tout le bonheur du monde".

Depuis le début de l'année j'ai passé plus de jours à me reposer qu'à pédaler. Que c'est bon !
Je repars par la ruta 8 puisque la ruta 7 est temporairement coupée à cause des inondations. Le paysage ne varie pas: des champs à perte de vue. Heureusement les belles rencontres se succèdent et égaient mes journées. Pas une journée ne passe sans que l'on m'offre un maté. Je discute avec les quelques mots d'espagnol que je connais. Ma compréhension s'améliore mais parler est beaucoup plus difficile. J'arrive tout de même à me faire comprendre. En tout cas pour les questions qui reviennent tout le temps:
D'où tu viens ?
Où tu vas ?
Quel est ton âge ? ...
Je passe mes journées avec le bruit des camions, voitures, ... et mes nuits au milieu des champs de maïs. Un soir de gros orage je suis accueilli dans une cabane de chantier au bord de la route. Quatre lits superposés, une ambiance chaleureuse : la simplicité d'une rencontre de bord de route. Mais un vrai bonheur pour le cycliste que je suis ! Le lendemain matin dans une boulangerie, le boulanger m'offrira du pain et des croissants. Il refuse absolument que je paie.

Les argentins sont exceptionnellement sympatiques et généreux. La traversée de cette plaine aux paysages monotones n'aurait jamais été aussi enrichissante sans toutes ces rencontres.
Je ne vais jamais pouvoir quitter ce pays ! 




Fin février j'arrive à Buenos Aires, la capitale.
Je suis hébergé par la famille de Martin, sa femme et leurs 3 enfants. Je passe 3 jours agréables entre asado (bbq), maté, bière, discussions et visites de la Capitale. Martin, un grand merci pour ta générosité et biz à toute ta famille !!!
Dans le centre de Buenos Aires je retrouve Yohan un jeune cycliste allemand de 23 ans que j'avais rencontré au sud de Santiago du Chili. On suit la même la route et le mercredi on décide de partir ensemble. Sortir de Buenos Aires est long et chiant, mais c'est loin d'être la pire des grandes villes. Avec Yohan on a le même rythme de pédalage et on file à toute vitesse direction l'Uruguay.
Après avoir réparé une crevaison sur la roue arrière du vélo de Yohan, une voiture s'arrête. Un homme sort, nous fait signe et nous propose de venir diner et dormir dans son appartement pour la nuit. Impossible de refuser. Angel habite dans un appartement dans la ville de Campana. Il est membre d'un club de cycliste et a l'habitude de "racoler" les cyclotouristes. Bières, pizzas, discussions, Angel nous régale. Il porte bien son nom. Merci infiniment pour ta générosité Angel !
Le lendemain matin Angel nous dépose à un croisement. Quelques photos pour alimenter Facebook et on repart 
En arrivant à la frontière avec l'Uruguay, il y a des dizaines de camions garés au bord de la route. Les militaires ne veulent pas nous laisser traverser le pont en vélo. La raison: trop dangereux, il n'y a pas de bande d'arrêt d'urgence! Une fausse raison car la plupart des routes en Argentine en sont dépourvues. Je l'ai constaté pendant 1000km sur des routes sans aucune bande d'arrêt d'urgence.
Putain de règles à la con!  Ça a le don de m'énerver.
Les militaires ne veulent pas nous faire passer de l'autre coté dans leur camionnette. Ils sont payés à ne rien faire, regardent la télé et ne veulent pas bouger leur cul !  On doit faire du stop. Mais il y a très peu de trafic. Alors on prend notre mal en patience en discutant avec les camionneurs. Certains attendent plus de deux jours pour passer la frontière. Je hais cette montagne de paperasse !

Au bout de deux heures, Yohan arrête une camionnette et deux "vieux" acceptent de charger nos vélos.
En ce moment on est dans la benne d'un pickup, assis sur le bord, roulant à plus 80km/h en direction de l'Uruguay !!!

Statistiques

Distance :  1940 km
Nb jours : 32
Nb jours de vélo : 16
Nb jours de repos : 16
Etape la plus longue : 158 km
Etape la plus courte :  75 km
Plus haut col : 3832 mètres ( paso los libertadores)

Total depuis le début

Distance : 36547 km
Nb jours : 528
Nb jours de vélo : 352
Nb jours de repos : 178
Etape la plus longue : 257 km ( Australie, Nullarbor)
Etape la plus courte : 26 km
Plus haut col : 3832 m (paso Los Libertadores, Argentine-Chile)
Crevaison : 11
Rayon cassé roue arrière: 9 ( ancien vélo décathlon à 100€)
temp. max/min : 49°C ( Australie) / -8°C ( Australie)









0 comments :

Enregistrer un commentaire