15/01/2017

Patagonie : Perdu dans l'immensité

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02/12/2016 - 09/12/2016 ; Cerro Castillo - Perito Moreno
Pas de chance, juste avant que j'arrive au poste frontière argentin un bus bondé me double. Patience, de toute façon je suis en grandes vacances et j'ai du temps à revendre . Après une petite heure d'attente, le douanier argentin tamponne mon passeport. Me voilà en règle sur le territoire argentin.
Je prends la mythique ruta 40. J'ai la chance de me diriger vers l'est, j'ai enfin le vent dans le dos. Je roule à 25km/h sans forcer sur un goudron tout neuf. A la bifurcation vers El Calafate je prends la route provincial 7 ou ex route 40. Des cailloux et du gravier sur les bords, au bout de 4km j'abandonne. Je fais demi-tour et je reprends la route 40 avec le vent dans le dos. Tant pis, même si je dois faire un détour de 100km. Je profite de mes premiers kilomètres depuis Ushuaia où je ne me bats pas contre le vent. J'avale les 80km jusqu'à la ville La Esperanza en 3 heures. Franchement, il faut avoir beaucoup d'espoir pour vivre dans cette ville paumée où la moitié des maisons sont en ruines. Manu Chao chante : "proxima station esperanza". J'espère qu'il ne parle pas de cette ville. L'espoir y est sûrement passé ... il y a très longtemps !!!
Je trouve un vieil abri de chantier en brique à la sortie de la ville et je passe une bonne nuit. Après 160km, j'ai toujours le sommeil lourd !

Le lendemain, fini les vacances. Je retrouve le vent de face, vitesse moyenne 10km/h, aucune protection. Une longue journée de combat. A 30km d'El Calafate, vers 18h, j'aperçois des peupliers. Une bonne protection pour planter ma tente avec ce fort vent. L'espace n'est pas protégé par des barbelés mais il se trouve à 100 mètres  d'une maison. Je commence à déballer mes affaires,  immédiatement les chiens se mettent à aboyer, et un vieux monsieur sort de la maisonnette. Je vais le voir et lui demande:
- Est-ce que je peux dormir à l'abri des peupliers?
Il regarde autour de moi et me répond par une question:
- Est-ce que tu es seul?
- Je réponds oui
et il m'invite spontanément chez lui, une petite maison faite de béton, tôle, bois, un mix qui résiste bien au vent. L'intérieur est sombre, éclairé par une toute petite fenêtre. Avant toute chose il me propose le maté. C'est un rituel dans cette partie de l'Argentine. Une petite tasse remplie au 3/4 de maté, une paille filtrante et une bouilloire avec de l'eau chaude. On verse un peu d'eau chaude dans la tasse et on aspire avec la paille. Celui qui sert l'eau boit toujours en premier. Ensuite c'est chacun son tour. Mais c'est toujours le même qui verse l'eau chaude. J'aime bien cette manière de faire, ce partage.
Il ne parle pas un mot d'anglais et son espagnol est beaucoup trop rapide pour moi. Quand je le fais répéter, il parle plus fort et plus vite. Je vois bien que ça l'énerve Mais je ne comprends pas mieux. Ce vieux est à l'image de la Patagonie à la fois généreux et rude. Il a du mal à accepter que je ne comprenne pas les choses simples qu'il me raconte. Mon espagnol est toujours aussi mauvais, mais j'espère bien que demain il sera meilleur
Au bout d'une demi-heure il sort sa radio à pile et écoute une émission. Il n'a ni l'électricité ni l'eau courante. C'est groupe électrogène et eau de la rivière qui coule à 50m. Après un diner bien riche (poulet patate et riz cuisiné avec du gras), il allume le poêle à bois, démarre le moteur, enlève le drapeau argentin qui couvre la télé cathodique et regarde une émission de variété. Il se marre bien, moi je ne comprends rien !
Je passe la nuit au chaud dans un lit près du poêle et au petit matin je le remercie chaleureusement avant de reprendre ma route contre le vent.


Je fais un détour de 30km jusqu'à El Calafate pour me ravitailler en nourriture. Pain, mayonnaise, fromage, avoine, maïs, fruits secs. De quoi tenir 5 jours en autonomie. Sur la route je croise un couple d'anglais puis Arthur, un jeune français qui a l'intention de rejoindre l'Alaska en vélo. On passe une heure à discuter de tout et de rien. C'est toujours plaisant de discuter dans sa langue natale avec un grand voyageur.
La route 40 longe deux grands lacs, l'Argentino et le Viedma. Les rivières qui s'y déversent sont de couleur bleu "glacial". La route est bien vallonnée et rarement plate. Le vent ne souffle pas trop fort et à la fin de la journée j'ai fait 120km sans trop forcer. Je squatte un ancien restaurant abandonné, une place bien connue des cyclotouristes, j'y retrouve le couple d'anglais que j'avais croisé le matin.

Au croisement avec El Chaltén je choisis de poursuivre sur la route 40 et de ne pas bifurquer vers le Chili et la Carretera Austral. Pour deux raisons principales : l'argent et l'immensité. Pour rejoindre le Chili par El Chalten il faut prendre un chemin de randonnée puis deux bateaux qui coutent 70 et 30€. Une bonne arnaque de mon point de vue ! Et puis j'ai envie de rouler au milieu des estancias, perdues dans l'immensité de la Patagonie argentine.
La carretera austral est une route fameuse dans le petit monde des voyageurs à bicyclette qui passe au milieu de petites montagnes et est réputée très jolie. Je la rejoindrai plus tard à Perito Moreno.
Perdu dans l'immensité de la Patagonie, c'est exactement là où je me trouve. La route passe dans des vallées immenses où le vent s'engouffre et souffle de toutes ses forces: pas d'arbre, peu de rivière et encore moins de ville.
Bienvenue dans la pampa. Quelques camions et voitures, je croise 10 véhicules par jour. Je suis seul au monde !!!
En dehors des deux villes que sont Tres Lagos et Gibernador Gregores, seules quelques estancias jalonnent la route. Leurs marques sont  présentes tout le long de la route avec les barbelés qui délimitent les pâturages pour les moutons et les vaches. Certaines estancias possèdent plus de 20000 moutons !!!
Durant ces 7 jours sur la route 40 j'ai beaucoup roulé, entre 8h et 11h par jour: entre 120 et 220km. Le régime de vent suit un schéma assez régulier. De 5h à 12h il souffle faiblement, voire même pas du tout. Dans l'après midi il se lève et peut souffler très fort, bien sûr, contre moi !
Le matin j'arrivais à faire plus de 100km et l'après midi si le vent soufflait fort, je faisais seulement 50 ou 60 km, sur la même durée. De longues journées de vélo où je mangeais 4 gros repas par jour pour éviter la fringale redoutée des cyclistes.
Planter la tente dans ce paysage battu par les vents et sans protection n'est pas recommandé, aussi j'ai squatté deux abris de chantiers abandonnés. Un soir après une journée bien remplie, alors que le vent soufflait très fort et qu'un orage s'abattait sur moi, j'ai tapé à la porte d'une estancia.  J'ai juste demandé un coin pour planter ma tente à l'abri du vent, en effet les estancias sont toujours entourées par des peupliers. Le chef de famille m'a conduit vers une petite habitation. Lit, poêle à bois, cuisine, eau potable. Le grand luxe !!!
La générosité de cette famille a encore été étonnante.


La vie sauvage le long de la route m'a surpris. Beaucoup de guanacos ( lama) et de Rheas (proche des petites autruches et des émeus). Ces "lamas" sont bien adaptés aux conditions arides et froides de cette région.  Pour ces animaux, les barbelés ne sont pas un problème, les rheas passent au travers moyennant quelques efforts et les guanacos sautent dignement par dessus. Même le plus beau cheval de compétition sautant par dessus un obstacle n'est pas aussi élégant. Le spectacle du "saut de guanaco" au dessus des barbelés est magnifique. Malheureusement certains se ratent, restent coincés et meurent à petit feu. Triste vision .
Comme dans le désert australien avec les vaches, moutons et chèvres, ces guanacos sont effrayés par les cyclistes. Un 38 tonnes peut passer, ils ne bougent pas. Par contre quand j'arrive ils détalent comme des fous furieux. C'est la fin du printemps et  il y a beaucoup de jeunes. Les adultes sautent facilement les barbelés mais pour les plus jeunes c'est une autre histoire. Ils courent le long de la route à la recherche d'un trou. Et quand les barbelés sont neufs ils peuvent courir plusieurs kilomètres. Un matin, un jeune guanaco a couru plus de 20km en ma compagnie. A 20km/h, pas mal !! Il s'est ensuite effondré de fatigue, avant d'avoir le réflexe tout simple  de faire demi-tour et de s'éloigner du terrifiant cycliste !!
Par curiosité je m'approche afin de voir la bête de plus près et je m'aperçois qu'elle n'a pas de sabots mais des gros coussins sous les pattes.

Arrivé à Perito Moreno, je cherche un camping pour me reposer de ces 7 jours intenses. Les hôtels sont beaucoup trop chers en Patagonie. Je pose mes affaires au "mini camping Raul". Raul tient un mini camping en plein centre ville sur le bout de jardin qui jouxte sa maison. Il m'accueille avec le maté et débite un monologue en espagnol pendant plus de 20 minutes. Je ne comprends pas grand chose mais ce type à l'air sympa, à la fois doux et dingue. 150 pesos, 9€ avec wifi, douche chaude et cuisine.
Raul a 70 ans, ancien policier, il tient ce mini camping depuis plus de 20 ans. Je passe deux jours extraordinaires en sa compagnie. Il me régale avec du maté,  des pâtisseries, des escalopes milanaises, des pâtes aux moules, ... La nourriture est comprise dans le prix de journée. Raul me nourrit ... aussi de paroles car il aime beaucoup parler !! C'est de loin le meilleur endroit payant où j'ai séjourné.

Maintenant il est temps de passer à l'ouest des Andes, au Chili et suivre la carretera austral.

J'ai vraiment apprécié ces quelques jours dans cette immense Patagonie. Les paysages sont grandioses et sauvages. Un endroit à la fois rude à l'extérieur et tendre à l'intérieur. J'adore !!!

Statistiques

Distance :  1033 km
Nb jours : 8
Nb jours de vélo : 7
Nb jours de repos : 1
Etape la plus longue : 222 km
Etape la plus courte :  120 km

Total depuis le début

Distance : 31747 km
Nb jours : 437
Nb jours de vélo : 301
Nb jours de repos : 136
Etape la plus longue : 257 km ( Australie, Nullarbor)
Etape la plus courte : 26 km
Plus haut col : 3045 m (Yunnan, Chine)
Crevaison : 11
Rayon cassé roue arrière: 9 ( ancien vélo décathlon à 100€)
temp. max/min : 49°C ( Australie) / -8°C ( Australie)


Petit coucou à Daniel et Sabina




2 commentaires :

  1. salut poulet, toujours passionnant tes récits je les lit a Mathis qui a chaque fois commente tes photos en me disant mais il a plus de cheveux ou alors il a la grosse barbe .... Biz et continu ton kiff

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  2. Hola Amigo, ça fait plaisir de voir que tu apprécies ma prose.
    Durant les 3 derniers mois j'ai gardé la barbe. Dans les prochains articles tu verra "cyril l'aventurier".
    Grosses bises

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